Ara fell : Enhanced edition
Développeur : Stegosoft Games – Éditeur : Danger Entertainment – Date de Sortie : 26 mars 2020 – Prix : 12.49 €
Il est temps pour moi de me confesser. Je suis atteint d’un mal terrible ; un mal qui régulièrement me ronge de l’intérieur et m’oblige à me tourner vers le passé ; un mal animé d’un sentiment de nostalgie aigre-doux. Voilà, je suis… un fan de JRPG des années 90. Pouf, c’est dit ! Tel un alcoolique prêt à lécher l’opercule métallique d’une 8.6 qui traîne dans la rue, et sur laquelle on aurait très bien pu pisser, je suis capable d’éplucher pendant des heures et des heures chaque projet du site rpgmaker.net, pour jouer à de pâles copies des chefs-d’œuvre ayant bercé ma jeunesse. Juste une illusion, une mauvaise drogue de substitution, qui me permet de sauver le monde encore et encore… Mais dans cet océan de médiocrité, quelques poissons volants tentent de s’élever au firmament. Je pense au cryptique The Way ; à l’éternel inachevé, néanmoins sublime, Aëdemphia ; ou encore au très pointu Hero’s Realm. Ara Fell — le sujet de cette critique — est fait du même bois. Sauf que, contrairement à ses prédécesseurs, il s’est payé le luxe d’une sortie sur Steam en 2016, après une tortueuse phase de développement de près de dix ans. Il nous revient aujourd’hui dans une version « enhanced », avec quelques mécaniques de jeu optimisées et des quêtes secondaires supplémentaires. L’occasion pour moi de me plonger dans son univers chatoyant… et de prendre ma dose.
Une rigolote sensation de déjà-vu
Malheur à celui qui accorde trop d’importance aux apparences ! Malgré ses plaines verdoyantes, sa faune abondante et ses habitants avenants, imaginer le monde flottant d’Ara comme un havre de paix serait une grave erreur. Déjà, car une malédiction ronge lentement le pays, qui menace, littéralement, de s’effondrer. Aussi parce que de vilains vampires ont la fâcheuse manie de becter le chaland insouciant, une fois la nuit tombée. Heureusement, une jeune adolescente de tout juste seize ans s’apprête à rétablir l’ordre dans ce bazar en enfilant le costume d’élue, après avoir mis la main sur un étrange artefact appartenant à une civilisation disparue. La couleur est annoncée d’emblée, Ara Fell n’est pas là pour réinventer les codes du jeu de rôle japonais. Il s’efforce pourtant de garder une part de mystère, en ne révélant qu’au compte-gouttes certains éléments scénaristiques, censés amener leur lot de retournements de situation. Seulement, tous ces twists sont affreusement téléphonés et ne surprendront guère les joueurs avertis, qui auront fait leurs dents sur des Final Fantasy et autre Chrono Trigger.
Ce classicisme on le retrouve aussi chez les acteurs qui animent l’aventure, tous plus stéréotypés les uns que les autres. On y rencontre Adrian, le beau gosse pas très malin, mais toujours brave ; Seri Kesu, la magicienne cynique et séductrice, un poil trop sûre d’elle ; l’énigmatique Doren, au regard éternellement sérieux ; et enfin Lita, intrépide, tête brûlée et sensible, accessoirement l’héroïne de Ara Fell. Une petite bande loin d’être désagréable, mais qui peine à se transcender – la faute à une écriture manquant de profondeur – et donc à nous impliquer émotionnellement dans ses nombreux déboires, qui s’étalent sur une petite vingtaine d’heures. Au niveau des antagonistes, ce n’est pas non plus la panacée, où un charisme insuffisant côtoie un verbe pas toujours inspiré. Mais cela, les gars de Stegosoft Games s’en tamponnent le coquillard.
Très vite, on se rend compte qu’Ara Fell joue à fond la carte du cliché assumé, en n’hésitant pas à se moquer de ses propres imperfections. Le quatrième mur sera fracassé à de nombreuses reprises, par l’intermédiaire des saillies verbales de Lita, qui se gausse régulièrement des décisions à la limite du compréhensible prises par notre groupe d’aventuriers. On pensera notamment à ce passage où Adrian, qui enchaîne alors les petits boulots pour casser sa croûte, rencontre son employeur, un homme encapuchonné et au regard démoniaque : « Allons, Adrian, cet homme est clairement machiavélique. » chuchotera la jeune femme, dans le creux de l’oreille de son ami qui fait fi de ses conseils. Cette autodérision se veut rafraîchissante et permet de railler bon nombre de poncifs et incohérences narratives présents dans beaucoup de JRPG. En revanche, Ara Fell peine à convaincre lorsqu’il tranche avec sa légèreté ambiante, en abordant des problématiques plus tire-larmes. Ces séquences sont desservies par une tonalité à qui il manque justesse et spontanéité, on galère à entrer en empathie, on n’y croit pas une seconde. La faiblesse d’écriture n’est pas la seule coupable, puisque le jeu souffre d’une mise en scène trop sommaire pour rythmer efficacement les événements marquants de l’histoire, et ce même pour un projet estampillé RPG Maker.
Ara Feel Good
Rentrons à présent dans le nerf de la guerre de tout bon jeu de rôle : les combats. Là encore, les habitués du genre ne seront pas dépaysés, avec des affrontements qui se déroulent au tour par tour, où l’ordre d’attaque est décidé selon l’agilité des belligérants. En tout, quatre statistiques existent pour différencier les forces et faiblesses de chaque combattant : la puissance (les dégâts physiques et magiques) ; la défense (qui détermine les points de vie et la capacité à encaisser les coups) ; l’agilité donc (vitesse, esquive et coups critiques) ; et enfin la sagesse (le mana). Lors de chaque montée en niveau, on renforce manuellement les caractéristiques de nos ouailles selon nos besoins stratégiques. À ce propos, si initialement nos personnages correspondent à des archétypes clairs [tank, mage, soigneur, rôdeur], le jeu nous force, à certains moments clés de l’aventure, de les spécialiser en une classe plus ou moins défensive. Prenons l’exemple d’Adrian, qui aura la possibilité de devenir un paladin — avec des pouvoirs plutôt axés sur le support, comme augmenter l’armure de l’équipe entière — ou un berzeker, bien plus offensif.
En mode de difficulté normale, les échauffourées ne se montrent pas particulièrement compliquées ; le bestiaire ne se renouvelle pas assez et l’on peut abuser d’une même tactique pour en venir à bout. Cette facilité est renforcée par le fait que nos guerriers récupèrent l’intégralité de leurs points de vie, une fois les antagonistes mis au tapis. Seuls certains affrontements, essentiellement contre les boss, peuvent se révéler étonnamment corsés. L’occasion d’envoyer notre piétaille grind au hasard de quelques quêtes secondaires, heureusement non contaminées par l’épuisant phénomène du FedEx, si récurrent de nos jours. L’autre moyen de donner un coup de boost à notre équipe sera d’améliorer armes et armures par l’intermédiaire d’une mécanique de craft simple et efficace — de toute manière, l’équipement ne s’achète pas — ou en jouant à l’apprenti alchimiste en concevant des potions aux effets divers et variés.
Si le soft n’invente rien, et n’excelle d’ailleurs dans aucun domaine, il fait toutefois preuve d’une simplicité vivifiante. Cette sensation se retrouve lorsqu’on arpente les terres bucoliques et colorées du monde d’Ara Fell, peintes dans un style 16-bit très vieille école. On ressent une vraie satisfaction à explorer les moindres recoins de son univers et à en découvrir ses secrets. Pour cela, Lita est capable de s’accroupir, de nager ou même de s’envoler, afin de mettre la main sur des trésors cachés ou des quêtes annexes mystérieuses. Finalement, on s’y sent bien dans le monde d’Ara, on peine chaque fois à la quitter, et on y revient toujours avec un plaisir authentique.
Un seul mot suffirait à décrire Ara Fell : Classique. Que ce soit avec son synopsis générique au possible, ses mécaniques de gameplay vues et revues, ou son graphisme « snes style » si commun, le jeu de Stegosoft Games ne surprend en aucune façon, malgré une exécution toujours très correcte. N’attendez donc pas de lui qu’il vous fasse vivre une épopée mémorable qui s’accompagnerait d’une émotion indicible, il n’en est pas capable. Ara Fell n’est qu’un hommage appuyé, un clin d’œil amusé, à un âge d’or révolu, et ne prétendra jamais à plus. Lui reste alors le goût de l’habitude, un peu comme une soupe de grand-mère un soir d’hiver au coin du feu. Ce n’est pas forcément très élaboré, ça manque parfois d’une pincée de sel, mais cela réchauffe toujours le cœur.
Gattu
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