Rapide Critique
Développeur : What Pumpkin Games, Inc. – Éditeur : Fellow Traveller
Date de Sortie : 14 septembre 2017 – Prix : 6,49 €
Hiveswap est une adaptation du webcomic Homestuck réalisé par Andrew Hussie depuis 2009, une énorme oeuvre Internet dans les engrenages de laquelle il vaut sans doute mieux éviter de glisser le doigt. Le succès a été suffisamment grand pour qu’en 2012, la promesse d’un jeu vidéo basé sur la bande dessinée réunisse sur un Kickstarter, alors en pleine folie, 25 000 contributeurs et près de deux millions et demi de dollars; l’un des plus grands succès de la plateforme encore aujourd’hui.
Le projet Kickstarter fut le même genre d’usine à gaz et entre les promesses, les bonus, les innombrables récompenses diverses et les interminables délais, il fallut pas moins de cinq ans pour que la première partie du jeu promis sorte enfin. Première partie car comme nombre de projets de la plate-forme, les auteurs durent le chapitrer, ce que l’on peut traduire par « on a sous-estimé l’ampleur de la tâche et on manque de moyens, on sort ce qu’on peut et peut-être que ce sera tout ce qu’on peut faire, on ne sait pas ». Un chapitre 2 semble toutefois en bonne voie puisqu’il a sa page Steam depuis octobre 2019.
Le jeu se présente comme un point & click aux moyens modestes : très beaux décors richement illustrés, mais animation pauvre et absence de voix. Les seuls rares dialogues se font par l’intermédiaire d’outils de communication, talkie-walkie ou tablette. La totalité de l’écriture est constituée de commentaires de vos actions. Enfin, malgré la prestigieuse co-signature de Toby Fox lui-même, la musique est composée de boucles assez répétitives et un peu assommantes.
On pourrait résumer grossièrement le jeu en « Gravity Falls mélangé avec Ben There, Dan That! ». L’univers et la caractérisation de Joey (la protagoniste) et de son petit frère Jude rappellent immanquablement la série animée d’Alex Hirsch. Dans la seconde moitié, un troisième personnage tentera de venir apporter une autre dynamique narrative. Quant au jeu, les auteurs ont pris le parti de mettre leurs efforts dans l’humour plutôt que dans une longue aventure ou des puzzles complexes : tout comme dans le p&c de Dan Marshall et Ben Ward, quasiment TOUTES les interactions possibles donneront lieu chacune à un gag différent. L’intérêt va donc consister à tous les lire (c’est d’ailleurs en fouinant dans ces multiples possibilités, dans une chasse permanente à l’oeuf de Pâques, qu’on dénichera les succès Steam du jeu). L’histoire, elle, sera fort courte, et les énigmes, tout à fait évidentes. J’ai essayé immédiatement après avoir fini un premier run : en ligne droite, l’aventure se boucle en quarante-cinq minutes. Si au contraire vous jouez au complétionniste de de la rigolade, vous en aurez bien pour 4 à 6 heures.
Le problème est que l’humour est moins dynamique et percutant que celui de Ben There, Dan That!, ne serait-ce que parce qu’il est porté par un abstrait narrateur commentant vos actions et non par votre personnage. Si on sourit souvent, je ne me souviens pas m’être esclaffé comme dans l’hommage British à Sam & Max.
Heureusement, l’univers est charmant et intrigant et on a plutôt envie de s’y laisser porter. Joey et Jude sont deux enfants qui vivent seuls ou presque dans une grande maison désertée par leur père et ils en ont fait leur domaine personnel rempli de jouets et de créativité; et comme le jeu se passe en 1994, notre coeur de trentenaire s’identifie immédiatement à ce fantasme enfantin dans lequel le fantastique va faire irruption.
On peut même s’aventurer à suggérer une correspondance entre le fond et la forme : si le game design de Hiveswap préfère s’attarder sur une multitude de blagues que de partir sauver le monde, c’est peut-être parce que nos jeunes héros voient leur attention davantage portée sur les détails triviaux de leur vie d’enfants que sur une vision plus large et distante… Je serais presque enclin à rapprocher cette philosophie de la nonchalance d’un Jean Echenoz, spécialiste littéraire de la manière de s’attarder sur tous les petits riens afin d’échapper au grand rien de ses histoires.
J’ai passé plutôt un bon moment sur Hiveswap. Un jeu confortable et douillet avec ses personnages peu nombreux mais attachants, qui ne cherche ni à brusquer, ni à provoquer, mais juste à amuser le joueur placé dans une situation de supériorité. La forme est limitée, l’ambition un peu maladroite, mais la suite de l’histoire se laissera découvrir assez volontiers.
Catel
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