Critique

Virtuaverse

Développeur : Theta Division – Éditeur : Blood Music – Date de Sortie : 12 mai 2020 – Prix : 14.99 €

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’après avoir zieuté le trailer de lancement de VirtuaVerse, mon cœur s’est emballé d’un enthousiasme si fort que, par un procédé neurologique encore inconnu à cette date, le petit logo « Sélection GSS » s’est imprimé illico presto au fin fond de mes sombres prunelles, pour ne plus les lâcher des jours durant. Il faut avouer que le premier-né des indés de Theta Divison dispose de deux arguments séduisants : un univers futuriste à l’habillage rétro néon alléchant, ainsi qu’une bande-son où le synthé se dispute avec la batterie, offrant un mariage des genres (électro synthwave et metal) tonitruant. Suffisant pour en faire le point&click de l’année ? (Spoiler: non)

Dystopique pic et colégrame

Il y a des jours, comme ça, où rien ne se passe comment on le voudrait. C’est l’un de ces jours pour Nathan, brutalement réveillé par l’alarme stridente de son horloge. Le voilà alors qui chute hors de son lit et brise son casque VR, l’unique cordon qui le rattache, paradoxalement, au reste de la société. Car Nathan est un marginal dans un monde ultra-connecté, l’un des rares êtres humains à avoir refusé qu’on lui place, dans la caboche, un implant de réalité virtuelle. Cette dernière n’a d’ailleurs rien de particulièrement attrayant, si ce n’est la possibilité de modifier artificiellement son apparence. En dehors de ça, la réalité virtuelle se résume à une intrusion permanente, où publicité et collecte de données se tiennent par la main, mais toujours pour votre bien, évidemment.

Les ennuis ne s’arrêtent pas là pour Nathan, puisqu’il se rend compte que sa bien-aimée a déserté le lit conjugal dans la nuit, sans explication. Ne reste donc plus qu’à sortir de l’appart, pour partir à sa recherche. L’occasion pour le joueur de découvrir une mégalopole plongée dans une obscurité éternelle et pervertie par un libéralisme agressif, alors que des drones publicitaires louvoient entre de gigantesques tours flirtant avec les nuages. On prend rapidement plaisir à arpenter les rues cradingues de cette cité, seulement éclairées par les néons mauves de gargotes à la nourriture insipide, et peuplées de camés accros aux trips numériques. La narration visuelle nous murmure, sans surprise, le mot « dystopie » dans le creux de l’oreille ; une dystopie qui vise à critiquer notre insatiable soif de nouvelles technologies, en soulignant ses effets pervers. Une intention louable, mais hélas mal exécutée.

Les méchants c'est trop nul

Très vite, le jeu s’érige en porte-étendard du « c’était mieux avant », et fait même preuve d’un sentiment de nostalgie primaire, en crachant allègrement sur toute technologie qui ne s’imbrique pas dans son système de valeurs. Si initialement ce cynisme se montre amusant, une fâcheuse impression s’insinue en nous : celle que les développeurs italiens ne tentent à aucun moment de comprendre le monde qu’ils ont pourtant créé, ou pire qu’ils s’écoutent parler. Protagoniste antisystème par excellence, Nathan explicite sans cesse les messages que VirtuaVerse cherche à faire passer, au travers de réflexions dont la teneur naïve prête à sourire : « le capitalisme c’est nul » « la technologie est allée trop loin » « la réalité augmentée nous isole les uns des autres ». Plus maladroits encore, les dialogues entre Nathan et certains personnages secondaires semblent faire office de long exposé, nous expliquant pourquoi telle chose est mauvaise et pourquoi telle chose ne l’est pas, sans aucun contre point de vue ni pas de côté. Ce manque de subtilité apparaît vraiment problématique pour une œuvre de science-fiction, puisqu’à aucun moment le libre arbitre du joueur ne sera stimulé. Au contraire, on va constamment lui matraquer ce qu’il doit penser, à tel point que VirtuaVerse finit par incarner une forme d’autoritarisme malvenue. Un comble.

En matière de mauvaise écriture, Nathan n’est pas en reste, tant son développement paraît surprenant. Alors qu’au départ ce hacker surdoué est auréolé d’un air très cool grâce à un certain sens de l’ironie, celui-ci devient progressivement un insupportable égocentrique toujours prompt à donner la leçon, quand il ne passe pas tout bonnement pour l’idiot du village. Susceptible de refuser de voler sa drogue à un clochard, mais d’envoyer consciemment un innocent au-devant de sa mort, Nathan ne manquera pas de nous déstabiliser. En réalité, le pauvre bougre semble avoir été victime d’un mal méconnu : celui d’avoir voulu lui apporter une dimension burlesque à la sauce LucasArts, alors qu’il évolue au sein d’une intrigue sombre et sérieuse. Par ailleurs, ne comptez pas sur les personnages secondaires pour vous raccrocher aux branches, ceux-ci ne sont que des coquilles vides juste là pour faire avancer un scénario convenu, qui aura tout de même le mérite de nous montrer du paysage.

Entre ses archéologues numériques, ses cryptoshamans et autres technomanciens, le monde de VirtuaVerse se veut foisonnant. Et s’il y a un réel plaisir à aller de découverte en découverte — on pense notamment à cette secte encore connectée à l’ADSL ; ou cette boite de nuit faisant office de club SM — on sent que les développeurs n’ont fait que répondre à un cahier des charges un peu fourre-tout, sans vraiment approfondir le background de leur univers. Malgré cela, l’ambiance que dégage le titre italien se montre accrocheuse, car portée par un pixel-art affriolant et offrant de splendides panoramas. D’autant que VirtuaVerse n’hésite pas à s’aventurer hors de son huis clos cyberpunk, en nous faisant crapahuter dans des régions désertiques ou tropicales, qui offrent quelques couleurs bariolées rafraîchissantes.

 

Pixel es-tu là ?

Rafraîchissant, le gameplay de VirtuaVerse l’est beaucoup moins. On l’aura compris, les gars de chez Theta Division sont des amoureux du vieux et du désuet, et cela passe par des mécaniques de jeu avec ses bons côtés et ses archaïsmes. Ainsi, VirtuaVerse revêt son habit de point&click rétro, avec au programme : inventaire garni, chasse aux pixels et énigmes alambiquées. Voilà qui ravira les fans les plus radicaux du genre, là où les néophytes risquent de s’arracher les cheveux après un tâtonnement de quelques heures. Le jeu campe à fond la carte de l’austérité, en ne distillant aucun indice quant à la résolution de la majorité des puzzles. Pas un problème en soi, mais cela le devient dès lors que certaines énigmes — pas toutes, heureusement — font état d’un design mal pensé, avec des étapes intermédiaires souvent illisibles et demandant moult allers-retours éreintants. Exemple, au début de l’aventure Nathan se fait prêter un drone de course et doit en améliorer ses performances. Instantanément, le joueur se souvient être passé chez un spécialiste réparant divers objets électroniques et s’y rend directement. Mais là, patatra, rien ne se passe. Non, pour que le l’homme en question accepte de booster notre appareil il faudra : participer à une course, la perdre, puis retourner voir le propriétaire du drone, lui pointer que ce dernier pue la défaite, et enfin rendre visite au spécialiste pour s’apercevoir qu’une ligne de dialogue a été débloquée. Un schéma qui se répète à de trop nombreuses reprises tout au long du jeu.

Maladresse renforcée par un inventaire trop généreux, alors que bon nombre d’objets ramassés — dont beaucoup de doublons, deux tournevis par exemple — durant l’aventure font office de fausses pistes, puisqu’ils se révéleront complètement inutiles. Vittorio D’Amore, principale tête pensante derrière VirtuaVerse, a beau se gargariser sur Twitter qu’il est nécessaire d’avoir un cerveau pour venir à bout de son protégé, on ne peut que regretter qu’il n’ait pas réussi à épurer son jeu de certaines mécaniques antédiluviennes. Au hasard, en ajoutant la possibilité de passer d’un tableau à un autre instantanément à l’aide d’un double-clic, ou étant moins rigide dans le dénouement de certains puzzles. Sans pour autant proposer un challenge insurmontable, VirtuaVerse saura vous occuper une bonne dizaine d’heures.

Allez, finissons cet article sur une note positive. L’OST, signée Master Boot Record (Vittorio D’Amore), est une vraie réussite. Tout sauf un hasard lorsqu’on sait que le soft italien est édité par un label musical – Blood Music – qui s’essaie pour la première fois au jeu vidéo. La rencontre de l’électro et du metal fonctionne bien, cela donne un son rythmé, gras et terriblement jouissif. Ouf.

L’heure de ma première Sélection GSS n’a pas encore sonné. Desservi par une écriture pas loin d’être catastrophique et un game design imparfait, VirtuaVerse sauve l’honneur grâce à un pixel-art d’excellente facture et des compositions musicales de haut vol. Le point&click s’adresse avant tout aux puristes de la première heure, qui sauront lui excuser son didactisme agaçant et quelques-uns de ses puzzles à la logique lunaire. En espérant que Theta Divison mûrisse son propos pour ses futures productions, car le potentiel, lui, est bien présent.

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Gattu

Joueur biberonné à quelques vieilleries telles que Secret Of Mana, Half Life ou Day of the Tentacle ; aujourd'hui reconverti sur les jeux narratifs, principalement par manque de temps et... de temps.

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