Röki
Développeur : Polygon Treehouse – Éditeur : United Label, CI Games – Date de Sortie : 23 juillet 2020 – Prix : 21.99 €
Röki… ne serait-ce pas là le nom d’un fameux boxeur à la voix rauque ? Sûrement pas ! Contrairement à son homophone campé par Sylvester Stallone, Röki range au placard les uppercuts et les crochets du droit, en préférant mettre en avant un folklore scandinave habité de géants indolents, de tomtes malins et de fées maladroites. Développé entre autres par de vieux briscards de chez Sony — Tom Jones et Alex Kanaris-Sotiriou, deux directeurs artistiques ayant bossé sur la saga Killzone — le titre anglais se présente comme un jeu d’aventure qui s’adresse aussi bien aux grands qu’aux petits, grâce à une atmosphère enchanteresse et un propos toujours bienveillant. Résolument positif, Röki s’offre à nous tout en douceur, tel un flocon de neige qui se poserait délicatement sur notre langue.
Comme une femme qui tombe dans la neige
Qu’elle apparaisse scintillante et argentée lorsque le soleil se fait éclatant, bleu-pastel quand on crapahute entre les arbres d’une forêt de pins, ou profonde à la lueur du crépuscule, la neige dans Röki se pare de subtils atours pour nous happer dans son univers merveilleux. Cette neige, elle va devenir notre compagnonne de voyage préférée, tandis que l’on flâne entre lacs glaciaux et montagnes autoritaires. On passe son temps à l’admirer, on lui surprend une nouvelle teinte au détour d’un chemin sylvestre, et l’on commence à projeter sur elle toutes sortes d’émotions, entre tristesse, tendresse et douce mélancolie. La direction artistique de Röki se déploie avec pudeur et onirisme — accompagnée de mélodies qui sonnent toujours juste — puis se sublime lorsque le mythe s’immisce brutalement dans le réel, en nous présentant un éventail de créatures tantôt bonhommes, tantôt inquiétantes, voire un peu des deux.
Bien loin du grandiloquent Valhalla, ou de divinités telles que Thor et Odin, Röki s’efforce à faire vivre une mythologie nordique foisonnante et méconnue, composée de lutins serviables, d’un chat énorme un chouia narcissique – le Jólakötturinn – et de trolls nonchalants. Les différents lieux visités sont imprégnés des légendes scandinaves, qui donnent à Röki une allure de conte de fée happant immédiatement le joueur, avec ses personnages hauts en couleur, mais aussi son histoire non dénuée de noirceur.
Car Röki narre avant tout les conséquences d’un drame familial, celui du décès précoce d’une mère de deux enfants. Alors que son père se console en tétant quotidiennement une bonne dose de bibine, Tove, l’aînée, tente de gérer comme elle peut la maison, telle une petite adulte. Son jeune frère, Lars, s’est lui réfugié dans un cocon imaginaire nourri par les mythes du Grand Nord. Et si l’imagination productive du gamin amuse la grande sœur, elle était loin d’anticiper qu’une nuit, une créature gigantesque du nom de Röki, au pelage aussi obscur que le plumage d’un corbeau, allait mettre en péril l’existence même de sa famille. Alors ni une ni deux, Tove se lance au secours de tout ce beau monde… mais aussi d’elle-même.
En fonçant tête baissée dans une quête de sauvetage désespérée, Tove va se replonger dans un deuil trop longtemps évité, mais à la culpabilité tortueuse encore bien présente. Effectivement, dans Röki, tout ou presque renvoie à la mort et à l’abandon : les cimetières aux tombes centenaires ; les hordes de corbeaux au piaillement lugubre ; et les géants endormis qui parsèment ses contrées enneigées. Grâce à une écriture délicate et tout en retenue — Tove est, par exemple, particulièrement réussie ; contrairement hélas aux personnages secondaires, rigolos mais peu approfondis — Röki évite l’écueil d’un pathos outrancier, sans négliger pour autant sa sphère émotionnelle qui demeure percutante. Le décès d’un être cher ; la culpabilité éprouvée ; la reconstruction de certains souvenirs douloureux : tout est abordé avec justesse et quelques passages se montrent poignants, avec un sous-texte toujours intéressant. Bref, le soft anglais se trouve convaincant en tant que conte merveilleux.
Röki Santa Cruz
Au-delà de l’expérience narrative efficace que propose Röki, ses mécaniques de gameplay demeurent dans l’esprit d’un point&click tout ce qu’il y a de plus classique, si l’on excepte le fait qu’il se joue uniquement au clavier ou à la manette — ce qui n’est d’ailleurs pas toujours intuitif.
Ainsi, Tove se déplace dans des décors en 3D joliment esquissés, taille une bavette avec des créatures mythologiques, résout des énigmes généralement bien pensées (parfois trop faciles) et ramasse des objets qu’elle va pouvoir combiner pour progresser dans sa quête.
C’est après quelques heures que l’on découvre une première originalité, lorsque notre héroïne fait la mainmise sur une baguette magique qui va lui permettre de percevoir la réalité différemment, d’une simple pression de touche. Puis, sur la dernière partie de l’aventure, quand un nouveau personnage jouable apparaît. Il s’agit alors d’alterner entre Tove et son compère pour les faire coopérer et résoudre certains puzzles.
Durant ces dernières heures de jeu (sur environ une douzaine), les énigmes se montrent plus inventives, davantage retorses et donc globalement plus intéressantes. Dommage, cela s’accompagne aussi de quelques rigidités quant à la jouabilité, le switch incessant d’un personnage à un autre étant à la longue éreintant, avec en sus de nombreux temps de chargement qui viennent saccader une action autrement fluide. Pas non plus de quoi gâcher notre expérience, tant Röki reste un titre d’une grande justesse.
Que les hardcore gamers tracent leur route, Röki n’est certainement pas là pour satisfaire un désir insatiable de challenge, mais plutôt pour nous narrer une histoire onirique, capable de happer le chaland sensible dès les premiers instants. Avec un ton toujours juste, une bienveillance qui n’en fait pas trop et une direction artistique qui en jette, Röki a bien mérité ma première sélection GSS, de celle qui vient du cœur tant son récit aura su toucher une corde sensible.
Gattu
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