Critique

The SIGNIFIER

Développeur : Playmestudio – Éditeur : Raw Fury – Date de Sortie : 15 octobre 2020 – Prix : 20 €

Contexte futuriste, réalités biscornues et plongée dans l’inconscient à l’aide d’une machine, difficile de ne pas penser au célèbre Observer lorsqu’on s’essaye pour la première fois à The Signifier — ou en français « Le Signifiant », un concept psychanalytique théorisé par Jacques Lacan dans les années 50-60. Développé par de jeunes premiers Chiliens — rien d’étonnant là-dedans quand on sait la prégnance de la psychanalyse en Amérique du Sud – The Signifier promet, tout comme son modèle spirituel, de pousser la réflexion quant à l’impact des technologies de pointe sur notre vie quotidienne, l’ambiance horrifique en moins. Bonne nouvelle, mes chausses resteront donc propres.

Mi-figue mi-raison

The Signifier nous met dans la peau du docteur Russel, psychologue et neuroscientifique ayant façonné le Dreamwalker, un scanner cérébral permettant de matérialiser rêves et souvenirs afin de les visiter. La vie du chercheur se trouve bouleversée lorsque sa machine est réquisitionnée par le BPT — un organe d’état luttant contre l’impact nocif des nouvelles technologies — qui souhaite enquêter sur le suicide suspect de Joanna, la vice-présidente d’une multinationale régnant sur le secteur high tech. Alors ni une ni deux, Russel se retrousse les manches et s’immerge dans le psychisme de la victime pour tenter d’y dénouer le vrai du faux.

L’alternance entre monde réel et onirique est donc la pierre angulaire du gameplay de The Signifier. Ainsi, on peut chavirer librement d’un univers à l’autre pour avancer dans la quête. Si dans son versant réalité le titre ressemble essentiellement à un simulateur de marche, c’est bien lorsque Russel sonde l’inconscient de Joanna que The Signifier déploie ses mécaniques de jeu les plus poussées. Il y est alors possible, en pressant une simple touche de clavier, de basculer d’une vision dite « objective » de la mémoire de la victime, à celle « subjective » dans laquelle des émotions d’intensité variable viennent déformer l’environnement. Par exemple, un mur présent dans la pensée « objective » ne le restera pas forcément dans celle « subjective ». 

Profond sur le papier, le gameplay de The Signifier ne décollera jamais vraiment, la faute à des énigmes trop rares et d’une facilité déconcertante, tout du moins tant que des bugs ne s’en mêlent pas, ce qui a pu être le cas sur la mouture servant au test. Le plus souvent, une alternance régulière entre les deux visions suffit à progresser de manière linéaire, et seuls quelques passages où l’on manipule la temporalité d’un souvenir font preuve d’une maigre originalité.

Cliff Anger

Reste que les tableaux traversés se montrent artistiquement intéressants à défaut d’être beaux, avec un style surréaliste (en plus glauque) qui sied particulièrement bien à cette atmosphère onirique. Si comme nous le disions en paragraphe introductif, The Signifier n’est pas là pour nous flanquer les miquettes (le titre est dénué de tout screamer), il n’empêche qu’il s’en dégage rapidement une ambiance oppressante, avec ses décors et sons distordus. Les angoisses de Joanna sont intelligemment représentées et son inconscient foisonne d’objets symboliques, entre visages figés en un rictus inquiétant, araignées prenant une forme de main, cuillères géantes et portrait de chien qui nous jappe dessus… bref, un beau bordel qui se mettra en ordre tout au long de l’aventure.

En revanche, une fois de retour sur la terre ferme, The Signifier met en avant une direction artistique beaucoup plus banale, malgré des intérieurs léchés et quelques panoramas vraiment réussis, mais dont l’identité fictionnelle peine à s’affirmer. La technologie censée être omniprésente gît aux abonnés absents, à quelques robots d’entretien et extraits de journaux près. Plus embêtant, les questionnements éthiques promis par les développeurs quant à l’utilisation desdites technologies — l’intelligence artificielle, l’intrusion de l’inconscient d’une personne non consentante — ne seront qu’effleurés et jamais au cœur du jeu.

C’est finalement avec son côté thriller que The Signifier nous accroche, puisque jusqu’au bout les raisons de la mort de Joanna resteront obscures. Machination gouvernementale ? Volonté d’une multinationale de rendre muet quelqu’un de gênant ? Simple drame familial ? On finit par se méfier de tout le monde et les théories complotistes se succèdent au gré des événements. Puis arrive le dénouement tant attendu… ou plutôt le non-dénouement, l’histoire se terminant sur un cliffhanger à la fois convenu et frustrant, qui ne délivre des réponses qu’au compte-gouttes et laisse présager d’une suite. C’est donc un peu dépité que j’ai regardé les crédits défiler, avec cette impression un peu amère de m’être lancé dans une montagne russe qui finit dans une flaque de boue.

Ne vous laissez pas influencer par l’aigreur de mes derniers mots. Malgré une fin en eau de boudin, une réflexion peu poussée sur l’influence des nouvelles technologies et des énigmes anecdotiques, The Signifier se montre captivant grâce à une représentation intéressante de l’inconscient, ainsi qu’une partie thriller plus que correcte, et sera donc à réserver aux amateurs d'ambiance un peu foutraque. A noter enfin l’excellente interprétation de Richard Epcar — aka la voix du docteur Russel  – qui en charmera plus d’un de sa voix profonde.

Image de Gattu

Gattu

Joueur biberonné à quelques vieilleries telles que Secret Of Mana, Half Life ou Day of the Tentacle ; aujourd'hui reconverti sur les jeux narratifs, principalement par manque de temps et... de temps.

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