Baldur's gate 3
Développeur : Larian Studios – Éditeur : Larian Studios – Date de Sortie : Inconnue
Rendez-en vous compte, cela faisait presque vingt longues années que Baldur’s Gate n’avait pas pointé le bout de son museau sur nos machines. Vingt ans que les fans assidus de ce véritable monument du jeu de rôle sont restés orphelins — à quelques remasters près — tandis que le genre s’offrait une seconde jeunesse, grâce à des titres comme Pillars of Eternity ou Pathfinder : Kingmaker. Aussi, lorsqu’en 2019 Larian annonce qu’il développe la nouvelle mouture de Baldur’s Gate, c’est un mélange de surprise, d’excitation et de déception qui prédomine. Comment ? De déception ? Alors que le très réputé studio de Larian se trouve aux commandes ? Et que leur fameuse saga Divnity : Original Sin se voit acclamée par la critique dans le monde entier ? Et bien oui. Car si peu de gens remettent en question le savoir-faire des développeurs belges en matière de création de RPG, leurs dernières œuvres sont particulièrement connues pour leur ambiance décalée, mâtinée d’humour barré et de couleurs chatoyantes. Bien loin donc de l’atmosphère grise et austère du vieillard Baldur’s Gate. Dès lors, la tâche se montre doublement rude pour Larian : il s’agit de respecter le matériau original, tout en sortant de sa zone de confort. Pas une mince affaire, quand une horde de fans aux griffes acérées vous attend au détour du chemin.
Le retour du Roi
Permettez-moi de démarrer cette preview en tirant la chasse sur ce qui pourrait fâcher tout rouge un certain nombre de joueurs. Baldur’s Gate 3 est et restera en accès anticipé durant un temps indéterminé. Cela signifie que, à l’instant où votre serviteur écrit ces lignes, seuls le prologue et le premier acte du jeu demeurent disponibles, que certaines fonctionnalités n’apparaissent pas encore, et que d’abondants bugs subsistent. Entre les crashs intempestifs, les soucis d’affichage et d’optimisation, et cette satanée IA ennemie qui met parfois deux minutes pour prendre une décision, l’œuvre de Larian a su éprouver ma patience à quelques reprises. Ah, attendez, il reste une petite trace au fond de la cuvette : certaines quêtes ne s’achèvent pas, du fait d’un dialogue ou d’un événement qui refuse de se déclencher. Donc sauf si le simple fait de poireauter un an avant de poser la main sur une version complète risque de vous filer un ulcère, ou si vous vous sentez prêts à déterrer soixante radis pour bêta-tester le titre de Larian, vous n’avez aucun intérêt, en l’état, à acquérir Baldur’s Gate 3.
Une fois passé ces trivialités, entrons dans le lard d’un sujet primordial pour tout rôliste qui se respecte, à savoir la modélisation de son avatar. L’outil de création proposé par Larian se montre simple d’accès et intuitif. Les habitués y retrouveront les classiques de l’univers Donjons et Dragons, tant au niveau des races – humain ; githyanki ; hobb… halfelin ; etc. — sous-races, classes et origines sociales. Baldur’s Gate 3 permet aussi bien d’incarner un guerrier Tieffelin ayant prêté allégeance à Méphistophélès, qu’une Haut-Elfe au sang noble et rongée par une tendance à la cleptomanie. Les possibilités se révèlent nombreuses — elles s’enrichiront au gré des ajouts de contenu de la part des développeurs — et incitent à la rejouabilité afin de créer le parfait combattant. Et si jamais le manque d’inspiration vous guette, une option — encore indisponible — vous autorisera à choisir un protagoniste conçu et écrit par les scénaristes de Larian, à l’instar de Divinity : Original Sin 2. Finalement, on pourra seulement reprocher au titre belge une absence d’audace et de profondeur au moment de façonner physiquement notre personnage. En effet, alors qu’il est aisé d’accoucher d’un canon de beauté, l’inverse se montre beaucoup moins vrai (à une femme à barbe près). Un point noir pour celles et ceux qui souhaiteraient se glisser dans la peau d’un énergumène à l’apparence sortant un peu des clous, pour ne pas dire disgracieuse.
Que vous soyez humain, nain ou githyanki, le prologue de Baldur’s Gate 3 démarre de la même manière : votre avatar est emprisonné au sein d’un nautiloïde — sorte de bateau volant gigantesque et capable de voyager entre plusieurs dimensions — appartenant aux flagelleurs mentaux, des créatures tentaculaires qui semblent sorties tout droit de la mythologie lovecraftienne. Mais tandis qu’un flagelleur introduit dans votre cervelle un asticot denté, dans le but à peine masqué de vous transformer en l’un des leurs, une bande de chevaucheurs de dragons githyankis attaque le vaisseau. Après avoir encaissé quelques coups de boutoir, ce dernier finit par s’écraser sur un littoral à la végétation luxuriante, seulement peuplé de quelques druides arrogants, pêcheurs hagards et gobelins belliqueux. Vous voilà donc isolé dans une campagne paumée, avec en prime un ver dans la caboche qui risque bien de vous faire muter en monstre maléfique d’un instant à l’autre. J’en connais un qui s’est levé du pied gauche et qui va devoir s’activer pour trouver un antidote.
Je ne vais pas vous mentir, les deux premières heures du titre de Larian sont particulièrement époustouflantes. Le rythme se révèle soutenu ; l’écriture aux petits oignons nous embarque immédiatement dans les forts enjeux de l’univers ; et l’enchaînement d’événements pour le moins explosifs pourrait bien vous arracher quelques « Oh ! » admirateurs. Le ton se montre sérieux, l’atmosphère malsaine, et les retrouvailles avec la saga réussies. Hélas, toute lune de miel peut avoir une fin. La mienne s’achève au moment où le protagoniste foule la terre ferme et fait connaissance de ses premiers compagnons de voyage, leur rencontre étant amenée de manière aussi artificielle qu’une allocution politique en pleine crise Covid. Pour résumer, tous sont des survivants de l’épave illithid, tous possèdent un ver dans la trogne, et tous peuvent se croiser en une heure de jeu. Une entrée en matière brutale, sans imagination, qui annihile le plaisir de la découverte de son prochain. Cette instantanéité du faire-groupe rappelle immanquablement Divinity Original Sin 2, avec ce bateau-prison — tiens donc — sur lequel sont réunis tous les héros du titre.
Au total, cinq personnages aux motivations variables peuvent être recrutés lors de ce premier acte. On y trouve un sorcier accroc à la magie qui émane d’artefacts anciens, un spadassin lancé dans une quête de vengeance, une clerc au passé trouble, une githyanki qui cherche à exterminer les flagelleurs mentaux, ainsi qu’un elfe à la peau pâle et aux incisives pointues. Des profils hétéroclites donc, mais plus à l’aise dans la joute verbale que pour attirer la sympathie du joueur. En effet, beaucoup d’entre eux adoptent des postures tantôt ironiques, tantôt méprisantes, lorsqu’ils ne se contentent pas d’agresser oralement notre pauvre avatar. C’est donc au prix de nombreuses rodomontades que l’on entrevoit un pan plus attachant de leur personnalité, qui se dévoile généralement au moment de monter un bivouac. Imoen est loin, Minsc encore plus. Toutefois, d’un antagonisme violent naissent parfois d’étranges histoires d’amour, car tout le casting jouable finira par nous faire des avances dignes d’un adolescent mal dégrossi, se découvrant trois poils sur le menton. On repassera pour la subtilité.
Reste qu’au-delà de quelques errements qui nous interrogent, l’écriture de Larian s’avère plus que correcte, et trouve un bon équilibre entre une tonalité sérieuse et quelques envolées humoristiques qui font mouche. Est-ce toutefois d’une qualité suffisante pour un monstre sacré tel que Baldur’s Gate ? Sur ce premier chapitre, la réponse tend malheureusement vers le non, car après des débuts tonitruants, le soufflet retombe brutalement. La quête d’un antidote au mal qui atteint les protagonistes passe rapidement au second plan, et l’on se retrouve mêlé à une brouille raciale, où tieffelins, gobelins et druides s’empoignent pour un bosquet divin. Les enjeux deviennent alors très classiques et, surtout, moins engageants qu’attendu ; mais peut-être que cela tient plus au manque de charisme et d’épaisseur des divers acteurs prenant part au conflit.
En revanche, le studio belge réussit à installer un nombre d’embranchements narratifs conséquents, qui s’ouvrent et se ferment suivant vos décisions et, surtout, vos lancers de dés. Baldur’s Gate 3 étant régi par les règles de Donjons et Dragons, la majorité des choix qui importent se joueront aux dés — cela se matérialise à l’écran grâce à un effet visuel sympathique — et leur réussite varie selon certaines compétences du protagoniste. Vous souhaitez convaincre ce fieffé gobelin de ne pas vous importuner ? Il sera nécessaire d’accomplir un test d’intimidation, sous peine d’en venir autrement aux mains. Ce garde vous a repéré en train de chiper un objet appartenant à autrui ? Vous pouvez essayer de lui faire croire le contraire avec un jet de persuasion. S’il peut être frustrant de voir tout un pan du scénario nous claquer la porte au nez à cause d’un lancer de dés infructueux, Larian, en solide maître du jeu, invente sans cesse de nouvelles possibilités pour nous éviter la désagréable sensation de nous retrouver face à un mur. La rejouabilité se montre donc excellente, et la liberté laissée au joueur pour mener sa barque à bon port apparaît grande. Ainsi, que vous soyez du genre belliqueux, rusé ou pacifiste, vous devriez trouver votre compte sans difficulté.
Le repos du guerrier
Toutefois, vous aurez beau vouloir vous la jouer Gandhi des Royaumes Oubliés, la bagarre reste régulièrement inévitable. Sacrilège pour pas mal de fans, Larian a entièrement remodelé le système de combat qui existait dans les vieux Baldur’s Gate. Exit la bataille en temps réel avec pause active, et place au tour par tour afin de mieux coller à l’esprit jeu de rôle papier. De même, il est désormais possible de ne contrôler que quatre combattants, contrairement à six dans les opus précédents. Des choix forts de la part de Larian qui ne peuvent que faire penser, encore une fois, à Divinity Original Sin. Est-ce là une volonté pour le studio belge de ne pas se brûler les doigts, avec un système de combat qu’il ne maîtriserait pas ? Si la réponse demeure incertaine, force est de constater que la sauce prend bien, tant les affrontements se montrent tactiques et exigeants.
Avant même d’engager le combat, il est important de veiller au juste positionnement de ses guerriers pour profiter de la verticalité qu’offrent les différents environnements du jeu. Ainsi, on fera attention à placer son sorcier ou son archer sur les hauteurs pour profiter de meilleurs angles de tir, tandis que les tanks besogneux iront au corps-à-corps pour en découdre. Ensuite, on retrouve un panel de sorts et compétences classiques mais variés, et il faudra être vigilant à la bonne synergie de leurs éléments. Par exemple, pourquoi ne pas faire apparaître une flaque d’eau sous les pieds de notre adversaire, pour mieux l’électrocuter d’un éclair ravageur. Au besoin, on pourra aussi s’aider de certains objets qui composent le terrain de jeu — des barils explosifs ; des flasques d’acide ; etc. — pour prendre l’avantage sur l’ennemi. De la même manière, nos personnages peuvent effectuer certaines actions contextuelles bienvenues — pousser l’opposant dans le vide ; tremper son arme dans du poison ou du feu — pour étoffer le champ des possibilités tactiques. Comme dans les dialogues, la réussite de notre stratégie est déterminée par d’incessants jets de dés qui peuvent s’avérer très cruels (oh le beau 95 % de chances de toucher qui rate). Attention, les plus colériques d’entre nous risquent de vociférer quelques ignominies complotistes — ils sont pipés ces dés bordel ! — à l’égard des développeurs. La majorité des affrontements se montrant retors, le moindre lancer de dés malheureux peut être synonyme de game over, et donc d’intense frustration.
Puis, entre deux prises de bec, vient le moment de panser ses blessures. On monte alors le bivouac et l’on se raconte des histoires au bord d’un feu de camp, avant d’aller faire un dodo bien mérité qui rechargera santé et magie. Des séquences incontournables au sein d’un jeu de rôle, mais qui se répètent beaucoup trop souvent dans Baldur’s Gate 3, du fait de la difficulté du titre. Ainsi, enchaîner les repos après chaque bataille égratigne inévitablement le sentiment d’immersion. Pourtant, personne ne pourra accuser Larian de ne pas avoir mis le paquet pour favoriser la plongée du joueur dans son univers fantastique : les musiques apparaissent brillamment orchestrées ; les doublages demeurent convaincants ; et graphiquement le Divinity Engine réalise des miracles, car Baldur’s Gate 3 est sûrement le plus beau CRPG qui existe d’un point de vue technique. Larian ne rate d’ailleurs pas une occasion pour exposer fièrement la plastique de son jouet, tous les dialogues donnant lieu à une petite saynète cinématographiée. Cela permet d’admirer le soin apporté à la modélisation des visages, mais aussi, plus problématique, le terrible jeu d’acteur du protagoniste créé par le joueur. Celui-ci étant muet, le studio belge appuie à outrance sur ses expressions faciales pour transmettre les émotions qu’il ressent à son utilisateur. Bien malgré lui, Baldur’s Gate 3 en devient parfois grotesque et hilarant, dans des moments censés se montrer effrayants, voire dramatiques
La route est encore longue. Au-delà de l'inévitable palanquée de bugs liée à son statut d’accès anticipé, Baldur’s Gate 3 nous livre là un premier acte sans imagination, à l’écriture et à la mise en scène qui alternent entre de beaux coups d’éclat et de grandes maladresses. On espère que les enjeux scénaristiques se montreront plus engageants par la suite — notamment en ce qui concerne la malédiction qui atteint notre groupe, encore peu exploitée — et gagneront en souffle épique. Néanmoins, l’aventure peut d’ores et déjà s’appuyer sur un arbre narratif créatif, ainsi que des combats intéressants et à la profondeur indéniable. Évidemment, Baldur’s Gate 3 a tout d’une promesse de bon RPG ; mais il en faudra plus pour prétendre inscrire son nom au panthéon du jeu vidéo, comme ont su l’accomplir ses aînés.
Gattu
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