Watch dogs legion
Développeur : Ubisoft Toronto – Éditeur : Ubisoft – Date de Sortie : 12 novembre 2020 – Prix : 69.99 €
Loin du strass et des paillettes d’Assassin’s Creed Valhalla, c’est avec une discrétion presque suspecte qu’un underdog appartenant au géant Ubisoft, du nom de Watch Dogs Legion, pointe le bout de sa truffe sur nos machines. Il faut dire qu’en dépit de quelques aboiements retentissants dans le monde du jeu vidéo – les ventes ont toujours été très correctes — la saga Watch Dogs peine à se façonner une identité forte, alors qu’elle devait incarner la représentante légitime d’une génération ultra connectée, grâce à son hacker de héros. Mais que ce dernier emprunte les traits d’Aiden Pierce (dans le premier épisode) ou de Marcus Holloway (dans le second), il ne s’en dégage qu’une personnalité peu consistante. La licence d’Ubisoft souffre de l’absence d’une figure grandiose — d’un Ezio Auditore pour Assassin’s Creed — capable de sublimer ce qu’elle cherche à raconter. Alors, à l’occasion du développement de Watch Dogs Legion, le studio canadien change son fusil d’épaule : plutôt que de pondre un énième protagoniste au tempérament creux, il préfère mettre en avant une ribambelle d’anonymes, unis face à l’oppression d’un système totalitaire. Car Nous est plus fort que Je.
Watch Doggystyle
Tandis que ses deux aînés nous faisaient crapahuter dans les rues de Chicago et de San Francisco, Legion traverse quant à lui l’océan Atlantique et la Manche pour poser ses pattes dans l’hypercentre d’une Londres futuriste. La capitale anglaise anglaise est métamorphosée par le système de sécurité ctOS, développé par la Blume Corporation, qui contrôle caméras de surveillance, reconnaissance faciale, voitures autonomes, téléphones portables ou drones policiers. Un goût pour le tout sécuritaire qui s’explique par la menace terroriste émanant du groupuscule anarchiste connu sous le nom de DedSec, accusé (à tort) d’avoir perpétré plusieurs attentats meurtriers dans différents quartiers de Londres. En réaction, le gouvernement fait appel à une milice privée, Albion, qui assassine la majorité des membres de DedSec. C’est ensuite à vous, joueurs et joueuses, de faire renaître le phœnix de ses cendres en recrutant de nouveaux membres, qu’ils soient technicien de surface, médecin de quartier ou avocat d’affaires réputé.
Rendre jouable n’importe quel badaud croisé dans les rues londoniennes représente la principale innovation de Watch Dogs Legion. Si ce concept a du sens dans sa portée symbolique — l’individualité qui s’efface au nom d’une juste cause —, il n’échappe pas à quelques écueils narratifs malheureux. En effet, qui dit infinité de héros, dit aussi grosse difficulté d’identification du joueur à un avatar au background inexistant, et dont la personnalité ne s’affirme, fort logiquement, jamais. C’est donc grâce aux protagonistes qui gravitent autour de notre (nos) héros, que Legion cherche à rendre son monde plus engageant. Il y a d’abord Baglay, une intelligence artificielle rigolarde qui vous assiste dans votre mission ; ainsi que Sabine Brandt, rescapée du massacre organisé par Albion et éminence grise de DedSec ; auxquels on ajoute quelques antagonistes qui prendront plaisir à vous mettre des bâtons dans les roues.
Hélas, Ubisoft Montreal semble avoir raclé les fonds de tiroir du cinéma hollywoodien pour construire son scénario, tant l’écriture de Legion se montre catastrophique. Leur titre se voit desservi par un déferlement de blagues lourdingues et dignes d’un mauvais blockbuster américain, tandis que les problématiques en lien avec les nouvelles technologies ne s’avèrent qu’effleurées au travers de podcasts insipides, que l’on peut dénicher çà et là dans les rues de Londres. Legion ne trouve jamais le bon équilibre entre le sérieux de son propos et des tentatives d’humour essentiellement là pour draguer maladroitement les plus jeunes d’entre nous. Mais ce qui illustre le mieux la vacuité du titre reste les motivations exprimées par les personnages recrutés chez DedSec : « Vous rejoindre pour emmerder le gouvernement ? Putain, mais ouais ! ». À force de vouloir se donner un air décontracté Legion en devient une parodie de lui-même, et c’est une triste conclusion qui s’impose à nous : en dépit de la richesse potentielle de son univers, le jeu d’Ubisoft n’a aucun message à nous faire passer.
Heureusement, cette liberté laissée au joueur pour se constituer une fine équipe de pirates informatiques n’apporte pas que du mauvais en matière de jouabilité. Si Legion reprend les mécaniques de jeu installées dans les opus précédents — l’infiltration en monde ouvert et pirater les appareils connectés au système ctOS —, il ajoute des compétences et gadgets uniques selon les individus recrutés. À titre d’exemple, un hooligan pourra faire appel à des copains alcoolisés pour mettre des mandales à quelqu’un qui lui chercherait des noises ; l’espion aura à disposition un véhicule lance-missiles, toujours utile en cas de course-poursuite ; et l’adepte du sadomasochisme sera armé d’une matraque à clous. On sent que les développeurs ont pris plaisir à créer des profils aussi mémorables que barrés — mention spéciale à l’apicultrice capable d’envoyer ses abeilles piquer un adversaire —, qui instiguent chez le joueur un réel plaisir de découverte, et permettent d’envisager les missions de moult manières.
Nous sommes Legion
Plus problématique, certains gadgets, comme le camouflage optique et les déguisements, se révèlent trop forts et permettent de boucler n’importe quelle mission en ligne droite. Mais au-delà même de ces quelques outils trop puissants, Legion présente une difficulté bien faiblarde pour les joueurs avertis. Le titre d’Ubisoft n’est pas aidé, il est vrai, par l’intelligence artificielle très permissive des ennemis, qui se montrent à moitié sourds et miros. Ainsi, on peut aisément éliminer ces derniers en abusant d’une seule et même stratégie : se cacher dans l’ombre d’un mur, pirater le téléphone d’un sbire d’Albion pour le distraire, puis se glisser derrière lui pour l’assommer. Et s’il vous prenait l’envie de vous armer d’un fusil d’assaut et de foncer dans le tas, alors vous auriez droit à des gunfights poussifs, durant lesquels on enchaîne facilement les headshots.
C’est d’autant plus dommage que les développeurs ont mis les petits plats dans les grands en matière de level design. La verticalité des niveaux apparaît bien exploitée, et le placement des caméras de surveillance, vilains et autres générateurs électriques — que l’on peut hacker afin qu’ils pètent au nez de la piétaille adverse — s’avère toujours bien pensé. Mais là encore, frappe le revers de la médaille de son concept novateur, puisque les missions se ressemblent toutes, certainement pour qu’il soit possible de les accomplir peu importe le personnage que l’on incarne. Généralement, celles-ci suivent donc un même schéma : on pirate quelques caméras, on élimine discrètement deux ou trois adversaires gênants, on hack quelques pare-feu/drones/tourelles, on arrive à l’objectif que l’on détruit, et enfin on se tire fissa avant que la maréchaussée nous envoie au mitard. Et dans le cas où notre avatar se fait cribler de plomb jusqu’à ce que mort s’ensuive, celui-ci n’est en réalité que « gravement blessé » et transféré à l’hôpital le plus proche (il peut aussi être emprisonné). Il sera alors nécessaire d’attendre un court laps de temps (environ une heure) pour qu’il soit à nouveau jouable — temps qui peut être réduit si l’on a un médecin ou un juriste dans l’équipe.
Les amateurs de challenge se rabattront sur le mode « Mort définitive » : dans ce cas, si notre personnage passe de vie à trépas, il ne sera plus jamais jouable. On appréhende alors les missions d’une tout autre manière, avec plus de réflexion et de sagesse, afin de ne pas voir notre avatar finir six pieds sous terre. De quoi faire franchir un timide palier à la difficulté de titre, même si cela reste insuffisant pour en masquer son épuisante répétitivité. Finalement, seules certaines quêtes annexes, dans le cadre de notre conquête de l’opinion publique londonienne, viennent diversifier un contenu autrement morose. En effet, la ville de Londres se voit divisée en huit quartiers différents, dans lesquels on accomplira diverses tâches pour pousser la population à se rebeller face à la perfide Albion. On se retrouve alors à enquêter sur les secrets et scandales qui minent la vie politique anglaise, et l’on entrevoit amèrement ce qu’aurait pu être Watch Dogs s’il avait été plus abouti.
Gestion de base, possibilité de faire appel à plusieurs membres de Dedsec pour mener à bien notre mission, mécanique de manipulation de la doxa plus poussée : voilà quelques idées qui auraient pu faire de Legion un grand jeu. Mais mon grief le plus important reste l’absence d’un système de karma qui viendrait punir les mauvaises actions du joueur. Dans Watch Dogs, on peut passer notre temps à rouler sur les piétons à l’aide d’un poids lourd, cela n’aura aucune conséquence sur la façon qu’auront les Londoniens percevoir notre groupe. En banalisant ainsi la violence, Ubisoft oublie que DedSec est censé défendre des valeurs humanistes fortes, qui s’opposent à la brutalité d’un pouvoir politique autoritaire. N’est pas GTA qui veut.
D’un point de vue technique enfin, Legion fait sans conteste le boulot. De jour comme de nuit, il est agréable de parcourir les venelles londoniennes et d’en découvrir les monuments les plus connus travestis par la technologie. La ballade risque seulement d’être ternie par la physique des véhicules, passable lorsqu’on est au volant d’une voiture, et carrément catastrophique quand il s’agit des deux roues. Un conseil : en cas de course-poursuite, ne posez pas vos fesses sur le siège d’une moto, car le moindre trottoir percuté (peu importe la vitesse) est synonyme de violente chute. Et s’il est toujours émouvant d’assister aux battements d’ailes impuissants de notre avatar, tel un oisillon qu’on aurait poussé hors du nid pour son premier vol, voilà un défaut qui fait toujours tâche pour un jeu AAA. Comme dirait l’autre, c’est là une sale habitude tenace des productions Ubisoft, qui berce bien souvent ses chiots trop près du mur.
Avec sa mécanique de gameplay novatrice — la possibilité de jouer n’importe quel quidam — Watch Dogs Legion était censé nous faire aboyer d’excitation. Un enthousiasme rapidement douché par la répétitivité du titre, ainsi que son écriture frisant le ridicule à force d’enchaîner les mauvaises blagues. Évidemment, évoluer dans cette Londres aux atours cyberpunks ne se montrera pas foncièrement désagréable, mais nous étions en droit d’attendre mieux qu’une redite insipide des épisodes précédents, qui n’avaient déjà rien d’exceptionnel. Finalement, une fois l’amusement initial passé, à aucun moment ce Legion ne dépasse son statut de belle promesse. Watch Flop.
Gattu
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