Critique

Encodya

Gattu
Publié le 10 février 2021

Développeur

Éditeur

Date de Sortie

26 janvier 2021

Prix de lancement

24.99 €

Testé sur

PC

En 2018, Robot Will Protect You était réalisé. Ce court-métrage de science-fiction à la sauce cyberpunk nous présentait une jeune sans-abri du nom de Tina, accompagnée de son robot protecteur, Sam, dans une ville pervertie par le capitalisme et la réalité virtuelle. Fort d’une esthétique se situant entre Blade Runner et une production Disney — même si le studio se revendique plutôt d’inspiration Ghibli —, ce petit film avait réussi à faire son trou dans quelques festivals cinématographiques, pour rafler plusieurs précieuses récompenses. Voilà que trois ans plus tard son créateur, Nicola Piovesan, se découvre de nouvelles ambitions et décide d’adapter son œuvre en jeu vidéo. Robot Will Protect You change alors de nom et devient Encodya, avant d’enfiler les sapes du point&click traditionnel.

virtuelle réalité

Neo-Berlin, 2062. Sur le toit d’un immeuble délabré, un campement de fortune abrite deux habitants insolites : Tina, une enfant au couvre-chef bizarroïde et orpheline de ses deux parents, et Sam-53, une carcasse robotique qui lui sert de nounou. Autour d’eux s’élèvent de gigantesques tours bétonnées, symboles d’une humanité qui a perdu un peu de son âme, car dévoré par le grand capital et les technologies modernes. En effet, la réalité virtuelle s’est invitée dans toutes les vies, et grignote plus encore la cervelle des citoyens de Neo-Berlin que n’importe quelle créature naît de l’esprit torturé d’un John Carpenter. En témoignent toutes ces personnes qui arpentent les rues tels des zombies, casques de VR vissés sur la tête.

C’est là un monde qui s’oublie dans le cyberespace, plus capable de prêter attention au malheur d’une gamine qui erre dans ses rues crades, tandis qu’elle cherche quotidiennement de quoi se remplir l’estomac. Bien sûr, à la satire de cet univers hypermoderne s’ajoute un inévitable pouvoir autoritaire, personnifié par un grand méchant, M. Rumpf, hybride grotesque de Hitler et Donald Trump. Le despote essaie à mettre la main sur le robot de Tina, car au plus profond de ses entrailles métalliques se cache un secret qui pourrait influencer l’avenir de l’humanité. Encodya se mue alors en fuite en avant, durant laquelle Tina en découvrira plus sur ses obscures racines.

Dès les premières minutes de jeu, la narration visuelle se déploie efficacement. On prend plaisir à découvrir un Neo-Berlin surchargé d’immenses buildings, véritable huis clos à ciel ouvert et rempli de panneaux publicitaires, robots et drones futuristes. L’identité visuelle du titre se révèle cohérente — bien que très classique — et on lui reprochera juste des visages humains grossièrement modélisés, ainsi qu’une animation des personnages un tantinet archaïque. Malgré ces quelques défauts, le monde d’Encodya charme vite le joueur grâce à une direction artistique enfantine et pleine de légèreté, qui rappelle immanquablement les grandes productions Disney. Hélas, au fil des heures s’estompe l’enchantement, car, au-delà de son enrobage pimpant, Encodya n’a que peu de choses à nous raconter. Le vernis s’effrite alors et le vide s’installe.

SAM'désole

Prestement, on comprend qu’Encodya n’est pas là pour bouleverser notre vision du monde. Certes, le titre estonien pose des ébauches d’idées : capitalisme vulgaire, populisme agressif, goût pour le virtuel qui confine les êtres… Mais à aucun moment il n’ose analyser plus en profondeur ces phénomènes sociaux. En quelques minutes, l’univers dystopique d’Encodya montre au joueur tout ce qu’il a à lui offrir, et n’évoluera jamais plus par la suite. Pourtant, on aimerait comprendre Neo-Berlin ; on aimerait comprendre cette société qui néglige ses enfants, qui a fini par sombrer dans la tyrannie du consumérisme. Sauf que le lore de la ville n’est que peu développé. Elle semble donc amputée de tout passé, et n’être qu’une somme inorganique de bonnes idées.

Pourtant, les développeurs ont bien tenté de rendre leur univers consistant. Les protagonistes rencontrés par notre duo incongru sont nombreux  : il y a par exemple ce maître sushi qui découpe sa poiscaille avec une lame en guise de main ; ou ce robot grognon programmé pour houspiller celles et ceux qui souhaitent lui parler. Mais on se rend rapidement compte que ces derniers sont atteints du syndrome de la « coquille vide », c’est-à-dire qu’ils ne doivent leur présence qu’au bon déroulement de notre quête, comme si on leur refusait une individualité propre ; comme s’ils n’étaient que des automates dénués de tout souffle de vie.

Ainsi, les personnages secondaires se contentent généralement de nous donner l’information (ou l’objet) nécessaire à la poursuite de l’aventure, avant de disparaître dans les limbes de l’oubli. En dépit d’un doublage de grande qualité, aucune figure charismatique n’émerge d’Encodya, la faute à une écriture qui manque de caractère et d’ambition. Alors pour cacher la misère, le titre s’abandonne parfois au bris du quatrième mur et aux références à la culture populaire. Mais là encore, le tout manque de naturel, de spontanéité et donne l’impression qu’il fallait coûte que coûte placer ce genre de badinage, quitte à trancher avec l’atmosphère générale du jeu.

Inévitablement, ces écueils contaminent la relation entre Sam et Tina, pourtant centrale dans Encodya. Le nombre de dialogues entre les deux personnages se montre famélique et se résume trop souvent à du « Je t’aime Sam » « Je vais te protéger Tina » ; une litanie qui cherche à convaincre le joueur de la profondeur de leur lien, mais qui ne se transforme que trop rarement en actes. L’histoire d’Encodya ne se montre pas pour autant désagréable à suivre : elle sait parfois se montrer intrigante et quelques rebondissements (prévisibles) sont au menu. Néanmoins, l’émotion ne suit pas et on scrute les tribulations de notre duo d’un œil désincarné, durant les cinq à six heures que dure l’aventure. 

et la jouabilité alors ?

Encodya reprend des mécaniques de gameplay attendues pour un jeu d’aventure : tout se joue au clic gauche de la souris ; on ramasse ça et là des objets nous permettant de progresser dans notre aventure ; et enfin, on cause avec les différents PNJs qui peuplent Neo-Berlin. On retrouve donc la bonne soupe des point&click à l’ancienne, entre chasse aux pixels et combinaisons d’objets plus ou moins lunaires. La seule originalité du titre réside en la possibilité d’alterner entre deux personnages jouables, Tina et Sam. Encodya offre ainsi différentes situations à résoudre où il faut s’appuyer sur la complémentarité des deux compères. Là où Sam est capable de chercher des items en hauteur, Tina pourra, de son côté, engager la conversation avec les personnages qui refusent d’interagir avec le robot. Et… C’est tout.

Le manque de profondeur d’Encodya se retrouve donc aussi dans sa jouabilité : aucune situation ne se résout à deux, et notre duo ne se sépare jamais. Les développeurs auraient gagné à faire preuve de plus d’imagination quant aux énigmes proposées, plutôt qu’à se reposer sur un cherche et trouve basique (le premier vrai casse-tête n’arrive qu’au dernier quart de l’aventure). Au hasard, en laissant la possibilité d’utiliser Sam pour créer une diversion, pendant que Tina subtilise un objet convoité. Ou en approfondissant les spécificités des deux personnages — la petite taille de Tina n’est, par exemple, jamais exploitée. On en ressort avec la fâcheuse sensation que le studio de Chaosmonger s’est contenté du minimum, et c’est bien dommage.

C’est une belle leçon qu’offre Encodya à tous les développeurs en herbe : il ne suffit pas de se reposer sur une esthétique mignonne et les gimmicks d’un duo étonnant, pour façonner un bon jeu. Ces mots peuvent paraître cinglants, acariâtres même, mais ils sont à la hauteur d’une certaine déception. Celle de n’être face qu’à une juxtaposition d’idées qui n’arrive jamais à prendre vie. Si Encodya ne se montre pas foncièrement désagréable à parcourir, son manque de profondeur dans tous les domaines — narration, jouabilité, sous-texte — laisse à penser que le titre italo-estonien a cédé à une certaine facilité. Sans conteste, la petite Tina méritait mieux que ce traitement en surface.

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