De l’Immersive Sim dans mon Zelda
Critique
The Medium
Développeur
Bloober Team
Éditeur
Bloober Team
Date de Sortie
28 janvier 2021
Prix de lancement
49,99 €
Testé sur
PC
Je dois l’avouer, la Bloober Team, c’est un peu mes petits poulains. Depuis le premier Layers of Fear jusqu’à Observer (on va mettre de côté le jeu Blair Witch sorti en 2019, tellement celui-ci était creux, sans âme et fleurait bon la commande), ces p’tits gars n’ont cessé de m’épater par leur génie de la mise en scène, leur faculté à nous retourner le cerveau par un level design sans dessus-dessous et rendre claustrophobe un habitant d’un studio parisien.
Mais ce qui rend les jeux de la Bloober Team si particuliers, c’est qu’ils transpirent l’envie de bien faire les choses. Ils font leurs jeu avec les tripes d’un indépendant dans sa cave et le cœur d’un artisan. Alors, avec ces éloges, je vais me faire taxer de vendu, mais promis, j’ai joué à The Medium en mettant mon amour au frigo pendant les quelques sept heures qui m’ont permis d’y venir à bout et en gardant à l’esprit que depuis peu, Bloober Team est surtout très mis en avant par Microsoft.
Quand le gameplay dessert l'aventure
Nous sommes quelque part en 1999, à Cracovie, le communisme s’éteint et Eli Kakou est mort. Rien ne va plus. On y trouve alors Marianne, directrice d’un funérarium, qui s’apprête à préparer le cadavre de Jake, son père adoptif et ex-taulier des lieux, pour son enterrement. Après quelques évènements flippants et un appel venu de l’au-delà, on apprend que Marianne n’est pas qu’une agente funéraire ordinaire, elle possède quelques pouvoirs lui permettant, notamment, de communiquer avec les morts depuis une autre dimension. Le monde à l’envers, l’autre côté du miroir, l’enfer, appelez ça comme vous voulez, c’est surtout une fantastique raison pour voir le très joli moteur graphique se scinder en deux visions à simultanées à l’écran : l’un contemporain et l’autre infernal. C’est la première vraie idée de The Medium, et le premier argument de vente du jeu ; vous contrôlez Marianne sur deux plans à la fois. Géniale élucubration de mise en scène que voilà, donnant lieu à quelques énigmes, comme certains lieux accessibles dans une dimension et pas l’autre. Et soyons franc : ce n’est pas passionnant. Celles-ci sont d’une mollesse et d’un intérêt plus que limités, passant souvent plus comme un moyen de freiner le joueur que de le faire réfléchir. Pire encore, le jeu oppose régulièrement des menaces qu’il faudra éviter, mais si elles sont impressionnantes la première fois qu’on les voit (merci Troy Baker pour les frissons), celles-ci deviennent très rapidement redondantes. Il aurait été plus adéquat d’assumer sa position de jeu narratif et ne faire qu’un long couloir maitrisé de A à Z au lieu de prendre Quantic Dream en exemple.
Les Bizz-arts
Mais ces passages de l’autre côté seront surtout l’occasion, déjà, de faire tousser mon PC (le jeu est très gourmand et met à genoux ma 1070 pendant les phases en multi écran) mais aussi d’admirer l’incroyable direction artistique que cache ce monde à l’envers. Pour l’occasion, Bloober Team a décidé de s’inspirer des œuvres d’art de Zdzisław Beksiński, un peintre polonais du 20ème siècle que j’affectionne particulièrement, à l’univers glaçant, mortuaire et déchiré. Quand je parle d’inspiré, je veux dire très inspiré, bien qu’ils aient fait le choix de retirer toutes visions sexuelles que pouvait avoir Beksiński dans ses tableaux, pour n’en garder que le gargantuesque et le putride qui tapissent les lieux, jonchés d’ossements, de peaux mortes et de visages cristallisés dans la peur.
Et puis-ce qu’un gros nom, ce n’est pas assez, Arkadiusz Reikowski, le compositeur maison de chez Bloober, s’est associé a Akira Yamaoka, homme de légende et de talent, reconnu surtout pour sa bande-son de Silent Hill 2 (et sur la plupart des suites). Un curieux duo qui fonctionne parfaitement bien, mélangeant régulièrement piano, synthé, guitare électrique ou sons analogiques inquiétants et écrasants. Et TANT QU’À FAIRE, on y rajoute en plus Troy Baker pour du doublage de vilain démon et du chant, suivi de Mary Elizabeth McGlynn, elle aussi chanteuse (qui a déjà travaillé avec Yamaoka). Bref, niveau artistique, on est sur du salade, tomate, oignon, sauce barbecue, supplément fromage.
La colline de Sunderland
Et si Silent Hill 2 est si présent, c’est parce qu’il a énormément inspiré Bloober Team et si on y trouvait quelques traces dans les titres précédents, The Medium en possède les plus grandes escarres. Déjà, par sa mise en scène, le jeu n’offrant aucun contrôle de la caméra et se chargeant lui-même des plans et des travellings, un parti pris que je trouve osé en 2021 mais intéressant tant il renforce encore plus les plans artistiques et la mise en scène. Aussi par son Game Design, basé sur des objets à trouver pour faire avancer l’intrigue et sur un « double monde ».
Alors personnellement je n’ai jamais joué à Silent Hill 2 (oui, je sais), et pourtant, j’y voyais quand même les références, il est donc possible que le clin d’œil et le coup de coude soient un peu trop appuyés, ça pourra en gêner certains parmi vous.
Évidemment, vous me voyez venir à des kilomètres avec mon déluge de compliments depuis le début, vous vous dites qu’il y a anguille sous roche ? Hé bien vous avez raison. The Medium fait partie de ces jeux qui nous font passer un excellent moment, mais qui ne nous marqueront pas sur le long terme. Comme dit plus haut, la faute principale étant cette envie d’énigme nulle au milieu d’une histoire qui a pourtant l’envie d’aller en Y sur l’autoroute du thriller. Surtout que, une fois de plus, Bloober prend le temps d’écrire un scénario très personnel, plaçant toute l’enquête de Marianne autour de son identité dans un bain d’Histoire polonaise du 20ème siècle, zig-zaguant entre les affres du communisme dictatorial et les cicatrices profondes du Nazisme. Rien de transcendant dans les faits, mais tout est tissé de manière cryptique, on est happé et on a du mal à lâcher la manette. Mais c’était sans compter la fin en eau de boudin, laissant tout un tas de question en suspend et amorçant en plus une suite, si on en croit la scène post générique. C’est plutôt grisant. Enervant, presque. Vous pouvez faire mieux les gars.
Ne nous voilons pas la face plus longtemps, The Medium n’est pas un mauvais jeu, mais il déçoit. Au lieu de profiter à fond de sa narration et de son esthétique, il force la référence à Silent Hill en nous proposant des phases de gameplay barbantes, couplées à une fin du jeu qui n’en a que le nom. The Medium transpire le jeu pensé avec le cœur mais fait avec un cahier des charges.