Un peu trop dans le brouillard
Critique
SaGa Frontier Remastered
Développeur
Square Enix
Éditeur
Square Enix
Date de Sortie
15 avril 2021
Prix de lancement
24,99 €
Testé sur
PC
Jeux de Rôles japonais qui se basent sur l’expérience qu’a été Final Fantasy II, les SaGa se démarquent par leur système d’évolution protéiforme, leurs combats qui laissent une sacrée part à l’aléatoire, ainsi que par leur approche expérimentale de la narration, plus centrée sur l’interaction entre le joueur et l’univers que sur le développement de ses personnages (qui restent flamboyants de charisme grâce aux illustrations de Tomomi Kobayashi).
SaGa Frontier Remastered est la refonte du septième titre de la série, sorti en 97 sur la Playstation. Remaster assez classique dans la forme : nettoyage des graphismes, ajouts dans la narration et mise à jour sommaire de la jouabilité du matériau de base. On a sur l’écran une capsule temporelle toute vaporwave, avec des personnages aux animations limitées et une 3D précalculée aux textures en toc comme des microscopiques décors de théâtre en plastique. Les petites scènes qui constellent l’aventure ressemblent à des dioramas Polly Pocket et malgré l’âge il s’en dégage un truc de tactile et de vivant.
Voir les personnages habiter ces décors pleins de (fausse) vie et de (faux) volumes, les découvrir au fur et à mesure de l’exploration pourrait être un plaisir, si l’exploration n’était pas si ardue. Des portes qu’on ne peut pas ouvrir à différencier de celles qui s’ouvrent, des chemins qu’on ne peut pas emprunter, des échelles inutiles. Des artefacts venus d’un passé où le jeu vidéo se découvrait encore un peu et qui m’ont fait plusieurs fois trébucher dans mon exploration.
L’exploration, dans SaGa, c’est particulier, difficile et grandiose.
Peu de jeux réussissent à incarner autant l’idée de périple. Tâtonner, affronter des péripéties inattendues, rencontrer des personnages bizarres qui ont leur propre agenda tangent au nôtre, le tout dans un monde vaste et très vite accessible dans son entièreté pour y vagabonder ; SaGa c’est un peu un road movie avec des épées. Alors se cogner contre une fausse échelle/porte/chemin qu’on ne peut pas emprunter, c’est frustrant. Est-ce que ce sont des restes d’idées inexplorées ? Des artistes-décors auxquels on a donné trop peu de contraintes ?
Le remaster balance du tipex là-dessus en posant des flèches dorées flottantes au-dessus des voies empruntables. L’idée n’est pas mauvaise : un correctif (désactivable) qui rajoute une information sans modifier le travail de base… Mais ces flèches dorées très free-to-play fantasy pour smartphone dénotent atrocement avec l’ambiance baroque-SF de l’univers.
Baroque-SF, parce que cet univers a du style. Il y a des voitures, des villes qui flottent dans l’hyperespace, des ruines à la Angkor-Vat, des centres commerciaux, la citadelle de Kowloon, et un calamar en pâte-à-modeler. Le vernis de petite maquette en plastique arrive à rendre cohérent un monde-patchwork, qui ressemble moins à un univers crédible qu’à un grand parc d’attractions.
Je parlais plus tôt de vagabondage, et si le matériau d’origine sur Playstation 1 se jouait à grand renfort de [causer par chance au bon personnage], le remaster a le mérite d’ajouter un journal de bord, qui nous aide à garder en tête les évènements vécus et les destinations à atteindre.
Et en bon JRPG à l’ancienne, toute destination se doit d’être voilée derrière des dizaines combats au tour par tour. La place laissée au hasard, l’évolution protéiforme, tout ça ici prend forme dans le système de combat compliqué mais plaisant du jeu, emballé par une réalisation dynamique pleine de zooms et d’effets pyrotechniques poussés au max. Le système de glimmers, une constante de la série, qui donne aux personnages une chance d’apprendre de nouvelles techniques pendant leur tour actif ou en réaction à une attaque ennemie, laisse une part d’imprévisibilité aux bagarres et les rend propices à de petits coups de théâtre souvent assez bienvenus, surtout au début quand chaque rencontre est risquée. À la fin des combats s’additionnent des systèmes étranges, certains personnages pouvant manger des ennemis, les absorber, ou en récupérer des cartes mémoires.
L’incertitude de ce qui en résultera est souvent frustrante, mais je mentirais s’il n’y avait pas quelque chose de fascinant là-dedans, si ce n’est dans l’exécution, au moins dans l’idée. Et si la bagarre vous fait peur ou si votre tactique dérape, vous pourrez fuir sans malus si vous n’êtes pas face à un boss.
L’écriture n’est pas vraiment au top. Les dialogues sont souvent expédiés et très informatifs (et je note ici que le jeu n’a pas de traduction française). Clairement l’exploration et les combats sont au centre de l’expérience, mais l’univers est tant travaillé et les personnages si charismatiques que je regrette de les voir parler en sujet-verbe-complément sans être plus funky. Certains dialogues sortis de la même série me font sourire quand j’y repense aujourd’hui, mais j’ai oublié chaque mot prononcé dans SaGa Frontier.
DU COUP que vaut SaGa Frontier Remaster ? Le remaster a du sens, ne serait-ce que pour plonger dans du précalculé et explorer une esthétique dans son propre petit espace-temps, ouvrir un jeu hermétique à un plus grand public. Mais je ne pense pas que le jeu plaise à grand monde. Les archéologues du jeu vidéo y trouveront peut-être leur compte. Ou celleux qui veulent vagabonder dans des mondes bizarres sans se soucier d’aller dans la bonne direction. Les autres seront rebuté·e·s par des choix de game design abscons, une esthétique définitivement datée et le périple hasardeux qui les attend pendant des dizaines d’heures.
Pour ma part, je ne sais pas si j’aurais pardonné à un jeu d’une série avec laquelle je serais moins familier. Mais j’aime assez ses défauts bizarres et l’humanité qui en sort. Chaque pixel mal détouré, chaque idée inutile et chaque échelle qui aurait peut-être dû mener à du contenu, mais en fait non, irradie de personnalité.