Critique
Strangeland
Développeur
Wormwood Studios
Éditeur
Wadjet Eye Games
Date de Sortie
25 mai 2021
Prix de lancement
12,49 €
Testé sur
Windows
Presque une décennie après Primordia, (le temps passe vite), Wormwood studios revient avec une nouvelle aventure, aidé en cela par son éditeur, Wadjet Eye. Deux gages de narration de qualité à mon sens, chose que Strangeland ne démentira pas pour l’œil avisé des amoureux d’histoire cérébrale et émotionnelle teintée de mystère et de fantastique.
C’est perdu sur les rivages d’un esprit tortueux que Strangeland nous emmène, aux mains d’un protagoniste qui se fera appeler l’étranger, alors qu’il se réveille le corps empêtré dans une camisole de force, le regard vitreux. Nos premiers pas nous portent sur des décors de foire inquiétante. Je dis décors puisque le vide l’entourant nous indique que la réalité n’aura pas toute sa tête ici-bas. Après une porte d’entrée sous la forme d’une tête de clown d’humeur blagueuse, ce sont les traits d’une femme blonde qui se dérobe sous les yeux de l’étranger en se projetant en avant dans un puits, comme pour disparaître aussi vite qu’elle était apparue.
De cette mise en bouche qui en dérouterait plus d’un, on se retrouve avec l’unique intention de l’étranger de comprendre qui est cette femme et surtout, de savoir comment la sauver. En bon aventurier du pixel, on a à disposition la panoplie du parfait point and click : on collecte objets et indices pour mieux en résoudre des énigmes à la logique accessible quand bien même la nature hors du commun des environs obligera parfois à penser un tout petit peu en dehors des sentiers battus de notre esprit cartésien.
Comme souvent pour les productions réalisées ou éditées par Wadjet Eye, le pixel se fait basse résolution et imposant. Le moteur AGS ou Adventure Game Studio semble à nouveau être le choix de Wormwood pour animer leur histoire dans une faible résolution digne de nos vieux Pentium. Ainsi, la patte artistique du studio qui avait rendu Primordia si unique à mes yeux, se retrouve ici dans des structures organiques et vivantes malgré leur aspect parfois lugubre et dépressif. Le pixel art est d’une grande richesse en détails qu’un excellent doublage aux voix familières pour qui aura déjà joué aux productions Wadjet Eye, ne viendra que renforcer de par la qualité de ses interprétations.
Le jeu d’acteur est toujours aussi bon, apportant la gravité et l’émotion nécessaires à un jeu à forte proportion narrative. Un design sonore adéquat et une bande son parfois stressante, parfois envoutante, viendront parfaire une présentation exemplaire qui n’a pas à pâlir des plus grosses productions pour peu qu’on ne lui tienne pas rigueur de ne pas se tenir aux standards impossibles de la haute-fidélité.
Strangeland se refuse à la linéarité même s’il semble difficile de ne pas en voir certains fils conducteurs. Il se targue d’offrir quelques résolutions alternatives à certaines situations, ainsi que plusieurs fins pour compenser son aventure condensée sur quelques heures en les prolongeant par une certaine rejouabilité. En soi, malgré ses variations, le fond reste le même. C’est l’histoire d’un homme perdu dans ses mémoires et ses pensées, occultant une faiblesse ou une souffrance dont il ne peut se départir qu’en tentant de l’oublier, ou plus exactement de la nier.
Nous sommes clairement projetés dans une histoire introspective, perdu dans l’esprit perturbé par un événement marquant d’un individu en plein fragilité. D’aventure s’il en est, il s’agira de remonter dans sa mémoire et de connecter entre eux les multiples indices sous forme d’analogies évocatrices de sa réalité, dans un monde fonctionnant par symbolisme de l’au-delà emprunté à différentes mythologies et croyances ou philosophies.
Les codes visuels sont tous là pour nous mettre la puce à l’oreille, tandis que l’atmosphère que dégage ce monde étrange sera là pour renforcer notre malaise parfois réel avec ces lieux bardés de symbolismes par moment dérangeants si ce n’est déroutants. Le seul souci en fin de compte de Strangeland est d’avoir pris le parti d’un protagoniste qu’on qualifiera pour ainsi dire d’amnésique.
On comprendra sur le plan des concepts ce que le jeu essayera de nous raconter, et sur ce point il fonctionne parfaitement dans l’exploration des thèmes majeurs qui sont les siens, dont je ne dirai rien de peur de trop en dire sur l’intrigue. Sur le pan émotionnel, cela pourra varier. En étant initialement autant perdu que l’étranger à ne pas comprendre ce qui se passe et pourquoi, il sera difficile de construire à ses côtés un chemin émotionnel qui pourrait nous amener au même sentiment que celui-ci quand sa vérité éclatera.
Si d’un coup les connexions émotionnelles se feront pour lui, il est possible que cela ne soit pas forcément le cas pour son public. Cette distanciation apparaît forcée par le jeu, un jeu se trouvant parfois trop analytique sur la psyché de son personnage principal au lieu de l’aborder sous l’angle plus simpliste, mais également plus aisé à ressentir humainement parlant qu’un discours de psychologie. Pourtant, la souffrance de l’étranger pourra trouver résonance dans l’esprit de certains comme ce fut mon cas par moments. Les thématiques abordées par Strangeland sont après tout universelles et peuvent vous faire vibrer sans que vous le sachiez.
Strangeland est un jeu complexe à décrire. C’est un point and click très réussi avec un brin de rejouabilité, sans doute sa qualité la plus évidente et la plus simple à mettre en avant au même titre que la qualité de sa production visuelle et sonore. Il explore des thèmes importants de manière introspective et analytique, nous contant, au travers d’un cirque de personnages étranges, le parcours psychologique d’un homme qui va devoir accepter ou non la réalité qu’est devenue sa vie. Certainement pas le genre d’histoire qui attirera tout le monde au premier abord, mais très certainement le genre d’histoire qui saura parler à qui aura eu affaire à des événements dans sa vie compliqués à gérer sur les plans émotionnel et psychologique.