La tac-tac-tactique des gens d’armes
Critique
Gamedec
Développeur
Anshar Studios
Éditeur
Anshar Publishing
Date de Sortie
16 septembre 2021
Prix de lancement
29,99€
Testé sur
PC
Ne vous êtes-vous jamais demandé de quoi serait fait le jeu vidéo dans 100 ans ? De mon point de vue, il y a deux possibilités : la positive, celle qui dit que tout serait fait d’expériences toujours plus réalistes et immersives, la VR serait un standard, la technique ne serait plus une limite et les développeurs auraient tout le loisir de nous proposer une aventure toute particulière, que seul ce médium peut proposer et la négative, qui parlerait d’un univers connecté constamment, où les freemiums pulluleraient par centaines et demanderaient un investissement complet pour pouvoir profiter au maximum de ceux-ci. Des mondes virtuels qui prendraient le dessus sur nos vies réelles. Et c’est bien dans ce camp-là que se place Gamedec, un jeu de rôles et d’enquête sorti sur PC créé par les Polonais d’Anshar Studios, une équipe qui a fait ses armes sur des jeux VR comme Detached et s’attaque cette fois à un jeu plus « traditionnel ». Celui-ci nous glisse dans l’imperméable (ou pas, vous avez le choix du skin) d’un·e Game Détective (la version longue de Game Dec), un·e privé·e engagé·e sur des enquêtes de crimes dans des univers virtuels.
GAME DECKARD
Alors forcément, de nos jours, quand on parle de jeu de rôles d’enquête, Disco Elysium et Return of the Obra Dinn pointent automatiquement le bout de leur nez et nous regardent avec un air béat et un sourire en coin. Oui, la comparaison est inévitable, surtout quand on parle d’un jeu de rôles en vue isométrique, très verbeux, sans la moindre trace de combat tactique. Mais contrairement au chef-d’œuvre de ZA/UM, GameDec tente de vous guider beaucoup plus. Il se comporte un peu plus comme un jeu vidéo, voir comme un « livre dont vous êtes le héros ». La trame narrative va avant tout analyser les différents choix que vous faites sur le moment, que ce soit une réponse ou une déduction, et vous trace un chemin. Pas de jets de dés critiques qui pourraient vous faire bifurquer, ni même de possibilité de retenter un dialogue ou une action qui s’est mal passée. Ici, vous débloquez des capacités en fonction des points de dialogue que vous gagnez suivant vos choix. Ces capacités vous permettront de résoudre une situation d’une certaine manière, parfois même de prendre un raccourci dont les conséquences peuvent être imprévisibles à court terme (comme la mort instantanée d’un personnage).
Je vais être honnête tout de suite, je n’ai fait qu’une session de jeu (qui a duré une vingtaine d’heures), pour la simple et bonne raison que je n’ai pas la sensation que le jeu ait quelque chose de différent à raconter si je retente une partie en étant plus bourru ou plus diplomate. Les scénaristes souhaitent vous raconter une histoire, qui ne pourrait pas exister (et ne tiendrait pas debout) si vous zappez un truc sous prétexte que vous n’avez pas fait les choix nécessaires ou si vous n’avez pas la compétence prévue. Ils s’inspirent évidemment de la plupart des différents médiums artistiques qui ont fait du Cyberpunk (mais surtout de Matrix), afin de délivrer une Varsovie-city divisée en une haute et basse ville, dont la méga-corporation règne en maitre, la caste sociale supérieure exploite l’inférieure blablabla, vous commencez à connaitre la rengaine, surtout depuis l’arrivée d’un certain Cyberpunk 2077 qui, malgré ses défauts, a tout de même popularisé la plupart des messages véhiculés par cette dystopie. Pourtant, a contrario du titre de CD Projekt Red, Gamedec a décidé de se focaliser sur un thème bien spécifique, au lieu de brasser un maximum : le jeu vidéo (aussi appelé monde sensoriel dans le cas présent).
WHEN YOU HAVE TO CHANGER DE LANGUE TOUT LE TEMPS
Petite apparté pour spécifier que, même si Gamedec a le bon goût d’avoir été traduit dans 7 langues différentes, il subsiste quelques soucis. Déjà, il m’est arrivé très fréquemment qu’un bout de jeu soit en polonais, au milieu d’un dialogue, dans la fenêtre de déduction ou même sur mes stats. C’est très fâcheux, même si le passage en anglais « corrige » le problème en affichant la bonne traduction (et encore, il arrivait des fois que des dialogues s’affichent encore polonais). Ce problème est encore aujourd’hui en cours de résolution à l’aide de patchs, mais on ne saurait que vous proposer d’être un peu patient si le jeu vous botte pour attendre quelques mises à jour. L’autre problème, et je ne sais pas tellement s’il sera corrigé, c’est la traduction bourrée de faute de conjugaison et de syntaxe. Rien qui vous empêche de comprendre ce qui est dit, mais cela va parfois semer la confusion dans les repère de temps. Et, évidemment, ce problème se passe autant en français qu’en anglais (et sûrement dans les autres langues mais j’ai eu 5 de moyenne en LV2 espagnol donc je ne peux pas juger).
C'est ici l'enquête ?
Évidemment, l’univers pose ses bases et explique comment le jeu vidéo est consommé au travers des divans de réalité virtuelle, du danger que cela peut provoquer à investir son corps et son âme dans quelque chose qui peut être soumis à des bugs ou des piratages. Parmi la pléthore de « mondes sensoriels », seule une poignée pourront être visitées pendant vos enquêtes. Ces mondes seront l’occasion pour les développeurs de vous sortir des néons-vapeurs et des bureaux chromés afin de vous emmener au far west, au Japon féodal ou même dans une campagne fermière. L’idée de jeu dans le jeu est tout particulièrement délicieuse mais, de par les limitations qu’on imagine techniques et budgétaires, ces mondes sensoriels se rapprochent plus du hameau de campagne. Si les raisons citées plus hauts sont parfaitement compréhensibles, il y a quelque chose d’assez déroutant d’arriver dans un monde et de trouver directement la personne qu’on cherche au coin d’une rue, à 50 mètres de notre arrivée. Tout donne la sensation de minuscule alors que le virtualium devrait nous imposer de l’immense et de l’infini, de quoi enlever une sacrée dose de prestige dans notre résolution d’enquête.
L’autre problème, c’est sa direction artistique. Varsovie-City est à tomber par terre et donne envie d’en voir plus, mais vous allez malheureusement passer la majorité du temps dans le virtualium, avec ses mondes ultra-génériques. Tout ceci s’explique simplement et logiquement quand on parle avec des joueurs ou des PNJ (bon en fait c’est tous des PNJ, mais vous avez compris), ces jeux vidéo sont avant tout là pour permettre aux gens de s’évader de la réalité et de vivre des situations banales mais infaisables depuis longtemps, comme la simplicité d’une campagne de fermiers. Et si « Vice-Versa », son Second Life pour pervers, garde son ambiance dystopique, les autres mondes sont globalement chiants à regarder et à parcourir. Chaque monde a ses propres règles et son game design, et il vous faudra parfois « jouer le jeu » (vous l’avez ?) si vous souhaitez avancer, de quoi se retrouver à faire des tâches assez peu enivrantes et répétitives, surtout quand on joue à un jeu d’enquête.
Derniers points, et non des moindres, Gamedec subit les mêmes problèmes que la plupart des jeux d’enquêtes jusqu’à présent : vous tromper n’y changera rien. Le jeu vous propose pourtant une interface de déduction intéressante qui regroupe toutes vos recherches, vos indices sur différents points, vous laissant le soin de choisir sur quelles pistes vous allez. Mais malgré les résolutions de situation en fin de « chapitre », à aucun moment je n’ai eu l’impression que mes erreurs de déduction m’empêchaient d’avancer. Comme dit plus haut, le jeu veut avant tout que vous ayez l’entièreté de l’histoire, il n’a nul intérêt à vous forcer à refaire une partie pour avoir tous les tenants et aboutissants. Il n’a pas été construit avec la possibilité d’échouer, mais juste celle de restreindre vos choix une fois arrivé au dénouement final. Je n’ai d’ailleurs même pas la sensation qu’un chemin m’ait été bloqué pour pouvoir en prendre un autre, juste d’avoir pris très souvent la porte de derrière au lieu de celle de devant.
Est-ce que je recommande Gamedec ? Difficile à dire. Si vous avez fait des titres comme Return of the Obra Dinn ou Disco Elysium, il y a fort à parier que vous allez être frustré lors de cette expérience, vous faisant l’effet d’un couloir aux murs transparents avec beaucoup de lecture. En revanche, si vous n’êtes pas un habitué du genre et n’êtes pas contre un peu (beaucoup) de lecture, il y a complètement moyen d’y passer un sympathique moment d’histoire cyberpunk, si on met de côté les moments de game play plutôt éreintants dira-t-on.