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Critique
Rise of the Third Power
Développeur
Éditeur
Date de Sortie
10 février 2022
Prix de lancement
17 €
Testé sur
PC
Je me réveille en pleine nuit. Mon cœur bat la chamade et mon corps dégouline de sueur. Au moment où j’allume ma lampe de chevet, son halo de lumière me transperce le crâne avec une violence inouïe. Puis, de petits personnages déguisés en mages et en guerriers apparaissent devant moi, en beuglant des « Feu II ! Glace III ! » dénués, à première vue, de sens. Enfin, l’épiphanie. Sans prendre le temps de mettre un pantalon, je me précipite dans la rédaction — on va dire qu’on en a une — de Game Side Story, et j’ouvre, d’un coup de pied retourné, la porte du bureau de Bestio. Ce dernier sursaute et s’interroge « Ben pourquoi t’es en slip ? » Prestement, de mes deux mains je me saisis de son visage et le secoue : « Je suis en manque Bestio ! Me faut ma dose ! Tu comprends ? Je veux du pixel qui tâche, des histoires manichéennes, je veux sauver le monde ! Me faut un JRPG ! » – Ah… Ah d’accord… Tiens j’ai quelque chose pour toi… Rise of the Third Power, de Stegosoft Games. Tu sais, ceux qui ont développé Ara Fell, t’avais aimé Are Fell, hein ? » Comme si le jeu pouvait disparaître, je l’attrape avec une vivacité de guépard, et commence à en lécher sa jaquette « Mmmh… oh oui… oui ! Merci Bestio. » Tandis que je m’éloigne, il m’interpelle une dernière fois « De rien Gattu… par contre… mets un pantalon s’il te plaît. »
Comme un air de Seconde Guerre
Il faut revenir une paire d’années en arrière pour retrouver des traces d’Ara Fell au sein de nos colonnes. Titre réalisé sur le moteur RPG Maker — capable de livrer d’improbables étrons, mais aussi quelques perles n’ayant rien à envier à la sphère vidéoludique plus « professionnelle » — ce jeu de rôle dit « japonais » avait su nous séduire grâce à son verbe pas avare en autodérision, malgré une structure très classique. Ce mois-ci, c’est sa suite spirituelle qui arrive dans les bacs, avec une ambition revue à la hausse. En effet, Rise of The Third Power nous promet de faire tout mieux que son prédécesseur : mécaniques de jeu plus profondes ; mise en scène dynamisée ; mais surtout, un scénario sombre et aux enjeux politiques engageants, là où Ara Fell privilégiait légèreté et humour à toute berzingue.
Alors, pour élaborer ce dernier point, quoi de mieux que de s’inspirer d’événements qui ont bousculé, dans un passé proche, le monde entier ? Pour créer leur univers, les développeurs ont largement puisé dans l’Europe de la fin des années 30, au bord d’un conflit total et déjà traumatisée par le lourd tribut humain de 14-18. Malgré son habillage steampunk, dans lequel magie et technologie cohabitent, nombre de joueurs hausseront à maintes reprises les sourcils face à la familiarité du lore de Rise of the Third Power. Il y a d’abord cette Grande Guerre, qui aura vu la moitié de la population de Rin — le terrain de jeu du titre — être massacrée quinze ans auparavant. Ensuite, l’Empire d’Arkadya, battu puis humilié par un traité de paix controversé, dans lequel on reconnaît aisément les prémices bellicistes de l’Allemagne nazie. Enfin, on découvre le royaume de Cirinthia — métaphore des forces alliées — aveugle aux intentions malveillantes de son envahissant voisin, la faute à une naïveté empreinte de valeurs pacifistes.
fall of the third power
Au milieu de ce tintamarre géopolitique, une bande d’idéalistes va tout faire pour contrecarrer les velléités expansionnistes de l’Empire d’Arkadya. Afin d’y parvenir, le titre nous donne d’emblée le contrôle de deux mercenaires hauts en couleur, Rowan et Corrina, chargés d’infiltrer la citadelle du roi de Cirinthia, pour enlever sa fille, la princesse Arielle (cela trouvera son sens par la suite). En pleine nuit, les deux compères se glissent aux portes du château, se chamaillent, se lancent des noms d’oiseaux, puis se remémorent à voix basse leur plan d’action, alors que des gardes sont postés à quelques mètres d’eux. Vous sentez poindre l’inquiétude ? Ils décident finalement d’éliminer les sentinelles avant de s’introduire dans la forteresse, puis ergotent, se vannent sans cesse, semblent parler d’une seule et même voix. L’appréhension est confirmée, Rise of the Third Power saborde d’entrée notre espoir de vivre une épopée mature, au nom de l’humour.
Loin de nous l’envie de remettre en question la qualité d’écriture des scénaristes, tant les rouages humoristiques se montrent maîtrisés. Les dialogues, dynamiques, s’avèrent remplis de bons mots bien sentis, et à de nombreuses reprises nous arrachent de larges sourires. Sauf que Rise of the Third Power était animé d’une double ambition : de nous faire marrer, certes, mais aussi de conter une histoire aux tenants et aboutissants sérieux. Par conséquent, l’insouciance que l’on retrouve à tous les étages du titre devient son pire ennemi, lorsque des événements dramatiques — et il y en aura un certain nombre — surviennent. Les deuils brutaux qui percutent les principaux personnages ne s’avèrent jamais pris au sérieux, tant le jeu ne peut s’empêcher, cinq minutes après les avoir mis en scène, de mitrailler à nouveau blague sur blague.
De manière plus générale, protagonistes et antagonistes agissent tels des enfants et prennent des décisions qui défient tout bon sens. Comme ce moment où Rowan et Corrina filent une arme surpuissante à leur otage, la princesse Arielle, qui vient d’être capturée. On pense aussi à cet autre exemple, lorsque notre groupe d’aventuriers fait du chantage à une pirate sanguinaire, en la menaçant de… révéler des extraits de son journal intime, dans lequel elle évoque ses amourettes éphémères. Pas problématiques en soi, ces (nombreux) instants triviaux tranchent trop nettement avec l’histoire complexe que souhaite développer le titre. Finalement, à aucun moment Rise of’ ne réussit à trouver son équilibre entre une volonté de faire rire et l’élaboration d’un propos adulte
Une formule classique qui fonctionne bien
En termes de jouabilité, Rise of the Third Power reprend les bases déjà posées par son prédécesseur — et bien d’autres jeux de rôle — Ara Fell. Comme ce dernier, les combats se déroulent au tour par tour, avec un ordre d’attaque déterminé par l’agilité des belligérants. Votre équipe se compose de quatre larrons aux compétences complémentaires. Certains encaissent bien les coups quand d’autres préfèrent appliquer des bonus à leurs compagnons. Tous, en tout cas, se montrent capables d’infliger de gros dégâts, soigneur compris. Au total, huit personnages seront jouables, et il est possible, si un affrontement paraît mal engagé, de rectifier sa stratégie en effectuant des rotations, à l’instar d’un certain Final Fantasy X. Toutefois, cela sera rarement nécessaire, car dans son mode normal (il existe aussi des modes « histoire » et « difficile ») Rise of’ ne posera pas grand problème aux érudits du genre. Certaines compétences surpuissantes — comme le bouclier, qui absorbe des dégâts sur plusieurs tours — permettent de tracer l’aventure en ligne droite, en atomisant sur notre passage foultitude de grappes d’ennemis.
À l’exception des boss, les monstres que nous sommes amenés à combattre sont tous visibles à l’écran. Libre au joueur de les attaquer, ou au contraire de les esquiver s’il se lasse de la répétitivité des affrontements, d’autant que ces derniers se montrent très nombreux — paradoxalement, plus que s’ils avaient été aléatoires. Néanmoins, mieux vaut se fritter avec tout le monde, si l’on ne veut pas voir son groupe d’aventuriers souffrir d’être trop bas niveau. À noter que comme dans Ara Fell, l’équipement ici ne s’achète pas, mais s’améliore grâce à un système de craft simple à appréhender, dans lequel on utilisera les matériaux récupérés lors de nos pérégrinations, ou obtenus auprès de certains marchands. Il est donc primordial d’explorer à fond les différents lieux à visiter, et d’accomplir les quêtes secondaires que propose le jeu. D’autant plus que ces dernières évitent les écueils FedEx liés au genre, et se montrent agréablement mises en scène.
Juger de la technique d’un titre confectionné sur RPG Maker reste compliqué, tant cette niche obéit à des standards différents du marché du jeu vidéo habituel. Disons que ce Rise of the Third Power reste graphiquement correct — ses pixels sauront flatter la rétine des nostalgiques des années 90’ — et doté d’atours victoriens sympathiques, mais qu’il ne fait pas non plus preuve d’une grande créativité, avec une resucée d’égouts, grottes et cavernes trop prégnante. De plus, on peut légitimement déplorer le manque de relief du chara design, aucun personnage ne sortant vraiment du lot de ce côté-là. Reste qu’on sent les progrès réalisés depuis Ara Fell par Stegosoft Games : les combats se montrent mieux animés et bénéficient de jolis effets de lumière sur certaines attaques.
Contrat à moitié rempli pour Stegosoft Games : si Rise of the Third Power dispose d’un univers plus abouti que celui de son prédécesseur Ara Fell – avec une mise en scène enfin à la hauteur – il échoue en revanche à déployer un scénario aux ramifications politiques complexes. La faute à un humour omniprésent, mais aussi à un casting qui manque globalement de charisme. Reste que le titre américain se montre agréable à parcourir, pour peu que l’on tolère son gameplay très classique, et il conviendra sûrement aux fanas de jeu de rôle à l’ancienne. On attend maintenant le prochain opus du studio qui sera, on l’espère, enfin l’épisode de la maturité !
Joli mais aspect stratégique trop léger