Havres de peur : Lieux d'horreur en jeu video
Jouer aux jeux d’horreur, je ne sais pas faire. J’ai trop peur et j’ai trop peur d’avoir peur. Pour les films, c’est un peu pareil. Pourtant j’ai joué à The Last Of Us, hein, faut pas croire que je suis tant que ça un bébé. Et c’est clairement quelque chose qui me manque : le peu d’espaces vaguement inquiétants que j’ai pu croiser dans des jeux restent encore particulièrement vivaces dans ma mémoire de joueur et j’adore que l’on me raconte les mécaniques ou les fondements esthétiques derrière les jeux d’horreur. Le dernier essai écrit par Guillaume Baychelier – docteur en sciences de l’art et chercheur rattaché à l’Université Bordeaux 3 – le confirme, le jeu vidéo est fait pour la flippe, sévices et versa.
Avec cent quarante pages de dissection spatiale de l’horreur, Havres de Peur répond habilement à la question suivante : pourquoi un couloir dont on ne voit pas le bout fait plus peur qu’une plage baignée de soleil ? À cette question simple – et a priori un peu bête -, Guillaume Baychelier apporte une multitude de réponses passionnantes, comme autant de courts articles dans une anthologie du frisson vidéoludique. Les grandes références – et leurs lieux mythiques associés – sont évidemment de la partie : le couloir coudé de P.T. et son effroyable boucle, le manoir Spencer et les espaces morcelés de Resident Evil, les géographies psychiques terrifiantes de The Evil Within… Ces jeux de nombreuses fois analysés servent aussi de marchepied à la découverte de titres moins connus, et qui gravent tout autant leur difformité dans l’esprit : Devotion (Red Candle Games), Neverending Nightmare (Infinitap Games), Here they lie (Tangentlemen) ou encore Kuon (From Software).
Selon une progression qui ouvre petit à petit la géographie – oui, on peut avoir peur dans les grands espaces, notamment quand tout est irradié autour de nous -, qui interroge la place de la ville moderne (Resident Evil 2), la perversion du refuge utopique (Bioshock) ou encore la dualité taquine du terrain de jeu diurne et nocturne (Dying Light), Guillaume Baychelier distille des concepts à la fois riches et concis. Il donne à chaque thématique/chapitre une réflexion suffisamment poussée et ouverte pour donner envie d’avancer au chapitre suivant. Les références sont nombreuses mais ne tournent pas au catalogue, elles invitent, elles aiguisent la curiosité, elles aident à aborder la place de la caméra ou celle des limites techniques qui enrichissent la créativité des studios et l’imaginaire appeuré des joueur.euses.
Parfait manuel de l’apprenti théoricien du jeu vidéo, l’ouvrage se révèle une très bonne porte d’entrée aux enjeux de game et level design, et il brille par son sens du rythme et la clarté des concepts présentés. Une chouette invitation à explorer toute la richesse des jeux d’horreur, en somme – ah ah jamais de la vie, plutôt mourir, laissez-moi retourner jouer à Kirby.
Havres de peur : Lieux d’horreur en jeu vidéo, Editions Rouge Profond, coll Décors, 19 €.
BassKass