Critique

The Wreck

Nyam Hazz
Publié le 23 mars 2023

Développeur

The Pixel Hunt

Éditeur

The Pixel Hunt

Date de Sortie

14 mars 2023

Prix de lancement

19,99 €

Testé sur

PC

Le studio parisien The Pixel Hunt, à qui l’on doit également Inua, a Story in Ice and Time, avait su nous interpeller avec Enterre-moi, mon Amour. Supporté financièrement par Kowloon Nights, mais aussi MEDIA Creative Europe, le CNC, et la Région Île de France, il revient aujourd’hui avec The Wreck, un nouveau jeu narratif intimiste qui se présente sous la forme d’un visual novel en 3D à la mise en scène soignée. À travers l’histoire bouleversante de Junon, il se propose d’aborder des thèmes délicats et de faire réfléchir sur la notion de maternité ou encore de deuil. Pendant 5 petites heures, ce titre, que nous avons testé sur PC, mais également sorti le 14 mars 2023 sur PS5, PS4, Xbox Series, Xbox One et Switch,  a en tout cas su nous émouvoir. Et nous ne sommes apparemment pas les seuls puisque, après avoir été sélectionné dans plusieurs festivals en 2022 et parfois été finaliste, il a obtenu une  mention honorable pour sa narration au tout récent Independant Games Festival.

Marche ou crève

Junon est une jeune scénariste trentenaire plus ou moins ratée qui a, depuis toujours, bien peu confiance en elle. Il faut dire qu’être la fille de Marie Demange, une célèbre artiste peintre qui les a toujours élevées, elle et sa sœur Diane, pour faire face à l’âpreté du monde, en ne faisant jamais confiance à personne et en sachant s’affirmer comme des femmes fortes, ne l’a pas beaucoup aidée. Elle aurait sans doute préféré davantage de tendresse, mais sa génitrice n’est pas spécialement douée dans ce domaine, et sa relation avec cette dernière, comme avec sa frangine, est compliquée. Il n’est pas toujours facile de se parler sincèrement, d’ouvrir son cœur, et les non-dits viennent souvent gangréner les relations.

Suite à l’hospitalisation de Marie, victime d’une rupture d’anévrisme, Junon va devoir prendre une décision particulièrement difficile :  faut-il la maintenir en vie sachant que si elle s’en sort elle devra faire face à des conséquences physiques et cérébrales irrémédiables qui la diminueront, ou renoncer aux traitements palliatifs et la laisser mourir ? À sa grande surprise, celle-ci l’a en effet désignée comme personne de confiance à qui demander de faire ce choix, alors même qu’elle ne s’est pas encore remise d’un dramatique accident de voiture dont elle n’a gardé aucun souvenir. Elle va donc devoir rajouter une couche sur ses problèmes personnels.

 Au cours de l’histoire qui la mènera jusqu’à la décision finale, Junon va ainsi se remémorer son passé petit à petit, tout en faisant son introspection. Et ses réactions, parfois brutales et maladroites, pourront être réajustées suite à cela, afin de faire peut-être preuve d’un peu plus d’empathie et de se construire un meilleur avenir. C’est en effet là l’occasion de s’interroger sur bien des points, le jeu explorant notamment les relations familiales qui peuvent être toxiques, la difficulté face à la maladie ou au deuil et les tentations de suicide que l’on peut avoir dans les moments les plus difficiles de notre vie. Les auteurs souhaitent, par ce biais, nous rappeler l’importance de dire à ceux qui nous sont chers combien nous les aimons.

Confidences pour confidences

Visual novel oblige, The Wreck est un jeu où l’on est essentiellement spectateur. On prend bien quelques décisions pour orienter le déroulement de l’histoire, mais c’est surtout pour nous faire participer, tout comme lorsque l’on doit cliquer sur les mots qui s’affichent de manière séduisante en surimpression. La mise en scène et la direction artistiques colorée faite à la fois de plans fixes, ou semi-fixes, et de séquences animées, sont de gros points forts du jeu. Les dessins, tout en simplicité, les plans retenus et leur enchainement sont particulièrement efficaces. Il n’est pas toujours facile à la manette d’atteindre efficacement le mot ou l’objet visé, mais on bénéficie en contrepartie, contrairement au combo clavier-souris, des vibrations qui nous indiquent la présence d’éléments interactifs.

De même, l’utilisation des gâchettes pour faire défiler dans un sens ou dans l’autre les souvenirs de Junon, avec une caméra qui virevolte dans tous les sens et joue avec les perspectives, fonctionne parfaitement. On revisite en effet à plusieurs reprise des moments qu’elle a précédemment vécus et pour lesquels elle partage son ressenti à travers les mots qui s’affichent. On repasse ainsi à plusieurs reprises chaque scène, avec une nouvelle lecture à chaque fois. Tout n’est pas en effet tout blanc ou tout noir, on peut visualiser les choses sous plusieurs angles, et même refuser parfois d’en voir certaines avant de s’y résoudre.

On pourrait reprocher au soft de finalement se limiter à quelques environnements seulement, mais cela colle tellement bien à la narration retenue, que l’on y voit rien à redire. On apprécie même parfois d’y revenir encore et encore. Le scénario table d’ailleurs là-dessus, avec un tour d’horizon final nous remémorant chacun de ces instants. Et pour éviter aux plus sensibles d’être perturbés par le phénomène de motion sickness pouvant être induit par l’accident de voiture récurrent, une option est proposée pour limiter celui-ci. Mais ce sont surtout les émotions que vise The Wreck, en faisant en sorte que l’on s’attache aux personnages et en soignant les dialogues afin de nous faire nous interroger ou tout au moins réfléchir aux sujets délicats abordés qui ne sont pas si simples à vivre au jour le jour.

On choisit ses copains, mais rarement sa famille

Les thèmes ont beau être durs, le ton sait rester léger, tout en douceur et en poésie, avec beaucoup de subtilité et même quelques pointes d’humour ici et là. Les larmes risquent bien de couler dans les moments les plus forts, mais c’est globalement un petit sourire qui égaie nos visages, tant les personnages savent se laisser approcher avec délicatesse. Le risque aurait pu être d’en faire trop, mais cet écueil a été intelligemment évité. Et pour emporter le tout, la bande-son sait autant se faire discrète qu’exacerber nos sentiments suivant l’effet recherché. Notons que si le jeu, qui se déroule en France, est entièrement traduit en français et interprété avec efficacité par des acteurs français, il n’est disponible qu’en anglais sous-titré en français (avec parfois un accent bien marqué).

Dès le menu principal, le titre donne le ton : nous accompagnons une scénariste. Ce dernier se présente en effet comme le bureau d’une tablette sur laquelle Junon rédige son scénario. On peut d’ailleurs interrompre à tout moment le déroulé de l’histoire pour y jeter un œil. On retrouve ainsi non seulement les dialogues auxquels nous avons assisté, mais également tout le descriptif de la scène. Pour le reste, comme dit précédemment, on se contente surtout de suivre l’histoire qui nous est contée, en cliquant parfois ici ou là. Si vous cherchez de l’action ou du challenge, voire du vrai gameplay, The Wreck risque de vous décevoir, mais si vous visez plutôt quelque chose de touchant, il devrait vous séduire.

Notre concours est demandé pour choisir certaines réponses dans les dialogues, ainsi que pour cliquer sur les mots-clés. Parfois il n’y en a qu’un seul, et cela sert uniquement à enchaîner les propos, mais d’autres fois il y en a plusieurs, et c’est donc à nous de choisir lequel développer. De même, les dialogues dépendent des réponses pour lesquelles nous optons. En approfondissant la réflexion, de nouvelles répliques peuvent apparaître, mais on peut aussi choisir de couper court en retenant directement la première option que l’on nous propose. Quant aux souvenirs, après les avoir visualisés une première fois, il faut parcourir ceux-ci à la recherche des mots-clés qui s’y cachent en avançant et en reculant, comme expliqué précédemment, au sein du petit montage mis en scène. Un concept original qui fait son petit effet et que l’on adopte rapidement.

Avec The Wreck,  The Pixel Hunt nous offre un visual novel qui joue avec nos sentiments et nous interpelle sur des thématiques sensibles. Son histoire prenante, enrobée d’une bande-son délectable, et ses personnages attachants sont magnifiquement interprétés et mis en scène de manière originale, notamment à travers les souvenirs que l’on parcourt dans un sens ou dans un autre à plusieurs reprises. Cela tourne, certes, toujours autour des mêmes images avec un gameplay limité nous cantonnant essentiellement au rôle de spectateur, mais il sait faire passer son message avec beaucoup de subtilité et d’émotions, sans jamais sombrer dans le pathos qui lui tendait les bras. C’est aussi un peu court, mais son objectif étant efficacement atteint, il est inutile là aussi d’en faire plus que nécessaire. Une œuvre maîtrisée.

Indika

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