Polar Cyberpunk sur rails
Critique
The Thaumaturge
Développeur
Fool's Theory
Éditeur
11 bit studios
Date de Sortie
04 mars 2024
Prix de lancement
34,99 €
Testé sur
PC
Lorsqu’un studio composé d’anciens de CD Projekt vient nous proposer un cRPG isométrique, on se retrouve forcément intrigué. D’autant plus lorsque celui-ci décide de placer le joueur dans un cadre unique, du moins pour le genre, soit l’Europe de l’Est au début du XXèmee siècle. Fool’s Theory, à qui l’on doit le RPG d’infiltration SEVEN, nous livre donc ici, après deux reports consécutifs, The Thaumaturge, un RPG narratif mâtiné de combats au tour par tour, de choix moraux et de personnalisation de personnage. Un ambitieux programme qu’on avait hâte de découvrir.
Wiktor Szulski, Thaumaturge, a été exilé de sa Pologne natale par son père des années auparavant. Genre de magicien, les pratiquants de thaumaturgie, aussi appelés Tempermencer, possèdent une perception exceptionnelle et sont capables de voir des éléments cachés, d’anticiper certaines actions, et surtout de suivre les émotions ou des traces de personnalité de personnes imprégnées sur des objets, voire encore de suivre le fil de leurs pensées, en faisant d’ailleurs des détectives hors pair. Mais principalement, ils sont capables de voir et d’interagir avec les Salutors, sortes d’entités spirituelles à l’apparence démoniaque, pensez au folklore du Witcher au hasard, qui s’attachent à une personne, attirées par leur principal « défaut », exacerbant celui-ci au passage et pouvant même influencer les personnes aux alentours. Le Thaumaturge étant lui capable de former un pacte avec un Salutor correspondant à son propre défaut, la fierté dans le cas de Wiktor, et d’une certaine façon d’exorciser les personnes suivies par un Salutor en leur retirant au passage leur défaut, ce qui a cependant la fâcheuse tendance de changer une personne, en la privant d’une partie importante et intégrante de ce qui faisait sa personnalité.
Tsar academy
Wiktor cependant, au début du jeu, est doucement, mais sûrement, en train de perdre son lien avec son Salutor et avec son esprit, et est en quête d’une solution. Après de nombreuses années à voyager, il va enfin trouver en Rasputin, un guérisseur très charismatique, non seulement la solution à son problème, mais également une occasion unique d’arriver à apprivoiser plusieurs Salutors, chose normalement impossible sans perdre complétement son esprit. Une spécificité unique qui sera bien entendu au cœur de l’histoire, mais aussi du gameplay. C’est à ce moment pourtant qu’il apprend le décès de son père, et décide de retourner dans sa Varsovie natale après toutes ces années.
Les Polonais de Fool’s Theory, que l’on sait par ailleurs au travail sur le remake du premier jeu The Witcher pour le compte de CD Projekt, s’associent pour The Thaumaturge avec l’éditeur 11 bit studio, basé à Varsovie et bien connu pour le développement de jeux à la fois très bons et originaux tels que This War of Mine et Frostpunk. Un mariage qui semble complètement logique tant la proposition de ce The Thaumaturge est atypique. Plus habitué à l’heroic fantasy ou la Science-Fiction, il est en effet peu commun de voir un RPG se passant à Varsovie au début du XXème siècle. On découvre ici une métropole pleine d’intrigues politiques, Varsovie étant sous contrôle de l’empire Russe, et dont le Tsar vient de nommer un nouveau général connu pour sa cruauté. On y croisera donc des révolutionnaires, mais également une assez grande diversité de personnes, aux coutumes et croyances diverses, rendant la ville plutôt réaliste. C’est d’ailleurs une des belles réussites du jeu, le rendu de la ville fonctionne à merveille, on ressent bien la différence d’ambiance selon les quartiers, mais aussi les tensions environnantes, où les manifestations sont de plus en plus fréquentes, voire des appels à la révolution contre le Tsar. L’existence des Thaumaturges n’est d’ailleurs pas secrète, et ceux-ci sont souvent stigmatisés, particulièrement craints pour leurs pouvoirs et capacités d’influence, et des groupes anti-Thaumaturges voient même le jour.
C’est donc dans ce contexte assez pesant que Wiktor retrouve sa ville natale, où il va devoir enquêter sur les circonstances troublantes de la mort de son père tout en naviguant entre intrigues politiques, chasse aux sorcières et l’omniprésence de l’Okhrana, la police secrète du Tsar, semblant être dans tous les mauvais coups.
Story driven RPG
Vous l’aurez donc compris, The Thaumaturge est un RPG qui mise énormément sur l’ambiance de son univers, mais également sur la narration. Dans ce domaine, c’est d’ailleurs du très bon. Comme on l’a vu, l’ambiance est assez convaincante, et la qualité des dialogues, que ce soit dans l’écriture ou dans la prestation des acteurs, fait que vous restez constamment immergé et happé par ce qu’il se trame. Les personnages principaux rencontrés sont pour la plupart intéressants, avec une personnalité propre et bien définie. Et qui dit RPG narratif, dit choix de dialogues et conséquences. Certains choix vont en effet influencer certains dialogues, avec des réponses qui pourront être par exemple inaccessibles selon vos choix précédents. De la même façon, certaines réponses dépendront de votre niveau de fierté, pour rappel votre défaut principal, qui se renforce plus vous y faites appel en dialogue, mais aussi de vos niveaux de compétence dans une dimension donnée, correspondant elle à un aspect de personnalité ainsi qu’à un arbre de compétences distinct.
Néanmoins, si certains choix sont réels, on remarque également pas mal de faux choix dans certains dialogues, qui nous font comprendre qu’une autre résolution aurait pu être atteinte si seulement Wiktor était en possession d’un Salutor spécifique par exemple. Sauf qu’il est impossible de le posséder à ce moment précis du jeu. On peut arguer que la supercherie permet de mettre en avant le fait que les choses pourraient se passer autrement, ou encore donner l’illusion d’un choix. Mais dans les faits, c’est réalisé d’une façon un peu trop grossière et lorsqu’il est aussi évident de l’impossibilité de choisir l’autre option, on se retrouve plus frustré qu’autre chose.
Au niveau du gameplay, on reste plus proche d’un jeu d’aventure que du RPG conventionnel, dans le sens où l’on se sent plus spectateur qu’acteur. On se contente la plupart du temps de suivre l’indicateur de quête, faire un clic droit pour déclencher notre perception de Thaumaturge, dans un bel effet visuel d’ailleurs, qui révèle des objets avec lesquels interagir nous en apprenant plus sur les brides de sentiments laissés par les personnages du jeu. En gros, on suit quasi aveuglément la ligne rouge et les conclusions faites automatiquement par Wiktor, sans avoir vraiment l’impression d’influer sur quoi que ce soit lors de ces phases. Dommage pour la partie revendiquée détective du titre. Il arrive de plus que l’ordre dans lequel on doive suivre les multi-objectifs d’une même quête ne soit pas très clair. L’un devient souvent bloqué en attendant qu’un autre progresse sans aucune indication, ce qui fait qu’on cherche souvent pour rien en ayant peur de rater quelque chose, avant d’abandonner et de tenter un autre sous-objectif. Ce n’est pas forcément très limpide et donne une impression assez artificielle de progression. Néanmoins, l’écriture et l’envie d’en apprendre plus font que l’on reste immergé dans l’aventure, et on progresse avec plaisir.
C’est du moins vrai pour la quête principale, et certaines des grosses quêtes secondaires, notamment celles vous permettant d’obtenir des nouveaux Salutors facultatifs. Cependant, The Thaumaturge possède également des quêtes annexes, aussi appelées urban secrets, servant de prétexte pour nous montrer des tranches de vie polonaises, et des monuments de Varsovie. Si dans l’idée ça pourrait être intéressant, dans les faits, cela donne lieu à des allers-retours incessants dans la ville, découpée en plusieurs quartiers qu’on peut rejoindre en calèche ou en tramway. On marche au final beaucoup, lentement, pour des quêtes annexes peu intéressantes, et qu’on finit par faire de façon quasi automatique en suivant les indicateurs. Fool’s theory a bien tenté d’y ajouter une mécanique supplémentaire avec différents moments de la journée, découpée en quatre, mais qui n’apporte pas grand-chose en terme de gameplay voire d’intérêt, si ce n’est faire perdre un peu plus de temps encore. Le principal problème étant que même si ces quêtes annexes sont optionnelles, elles rapportent tout de même un bon lot d’XP faisant monter notre compétence en combat, et pouvant également aider à débloquer certains choix de dialogues dépendants de votre niveau dans une dimension donnée, et l’on se sent donc un peu obligé de les faire.
des combats surprenants
En parlant de combat d’ailleurs, ceux-ci se passent au tour par tour avec un système de cartes représentant des aptitudes différentes. Si de prime abord, on pouvait penser qu’il s’agirait d’un système simpliste servant plus de gimmick, au final, il n’en est rien, et le système proposé révèle une vraie richesse. Sans non plus atteindre des sommets, on est tout de même content de voir que les combats présentent un réel intérêt. Ici, chaque action à un indice de vitesse qui vient modifier la file d’attente représentant l’ordre dans lequel les personnages impliqués vont agir, visible grâce à vos pouvoirs de Thaumaturge bien entendu. Les capacités les plus puissantes sont plus lentes, et voient donc le risque que votre adversaire attaque en premier. Chaque personnage possède également une jauge de concentration, sorte de volonté mentale, qui pourra être réduite grâce à des attaques spécifiques. Une fois réduite à zéro, des attaques surpuissantes pourront alors être lancées. Bien évidemment, vous ne serez pas seul dans ces affrontements. Chaque tour, en plus de l’action de Wiktor, vous pourrez en effet faire agir l’un de vos Salutors pour vous venir en aide. Il faudra donc apprendre à jongler entre eux et tirer avantage de leurs spécificités pour espérer l’emporter. C’est d’autant plus important que ce sont les seuls capables de retirer certaines compétences spéciales protégeant les ennemis, telles que des réductions importantes des dégâts reçus ou des résistances aux altérations d’état. Là où ça devient encore plus intéressant, c’est qu’en faisant évoluer son personnage à l’aide des points de Thaumaturgie glanés en montant de niveau, vous débloquerez des effets supplémentaires qui peuvent être associés aux aptitudes de Wiktor ou celles des Salutors. Dans les faits, on peut donc, et doit, imaginer des combos terriblement efficaces et tirer avantage des interactions possibles entre les capacités. C’est vraiment une bonne surprise, fonctionne très bien, et donne au final un côté presque puzzle aux combats. C’est notamment vrai pour les combats de boss, comme les captures de Salutors, où il faut bien réfléchir à la stratégie à mettre en place et anticiper chaque action.
Néanmoins, si les combats sont au final bien plus intéressants qu’on l’espérait, ils restent malheureusement un peu trop nombreux, et beaucoup semblent souvent placés là arbitrairement, juste pour créer un dynamisme artificiel, voire allonger un peu la durée de vie. Et au final, une bonne partie des combats reste des fillers peu intéressants. C’est vraiment dommage, car le système mis en place aurait bénéficié à plus de rareté et se contenter de combats uniques.
The Thaumaturge est un objet des plus atypiques. Unique dans sa proposition, un RPG vous faisant évoluer dans une Varsovie en 1905, proposant un univers riche, intrigant et abordant des thèmes parfois forts, saupoudré de monstres et de folklore polonais qu’on est encore assez peu habitué à voir. S’il réussit parfaitement, entre autres, son ambiance, et plus surprenant, son système de combat, il fait cependant l’erreur que beaucoup d’autres font, à savoir que le plus est l’ennemi du mieux. Fool’s Theory vient malheureusement diluer toutes ses bonnes idées par des quêtes annexes sans intérêt, forçant le joueur dans la répétitivité et à enchaîner les allers-retours peu passionnants. Idem pour ses combats, pourtant si inventifs et intéressants, mais noyés par des combats fillers qui viennent lasser le joueur.