Qui qu’c’est qu’on appelle ?
SELECTION GSS
DRAGON AGE : THE VEILGUARD
Développeur
Bioware
Éditeur
Electronic Arts
Date de Sortie
31 octobre 2024
Prix de lancement
79,99€ - 59,99€
Testé sur
PC
Les adeptes de Bioware ont plus en tête Mass Effect, Baldur’s Gate (les vieux) ou Star Wars KOTOR, de mon côté, j’ai personnellement beaucoup d’affect avec la série de Dragon Age. Présenté comme un descendant spirituel à Baldur’s Gate, Dragon Age : Origins s’inspirait beaucoup de D&D sans jamais le singer. Dernier représentant de la pause active, il avait ce don (qu’aura BG3) de faire un jeu de niche et de soigner suffisamment la présentation pour que le grand publique l’apprécie. Quinze ans plus tard, avec des suites pas souvent reçues à leur juste valeur et des jeux comme Mass Effect Andromeda et Anthem sortis entre temps, Bioware revient de ce qu’on voyait déjà comme un cercueil pour apporter ce que veulent les fans : un quatrième épisode — The Veilguard.
Le nain situation
Mais qui sont les fans de Dragon Age ? Cette espèce assez rare (mais aux appuis solides) s’adonne souvent à des jeux dont les personnages sont au centre de l’histoire. Ils doivent être complexes, charismatiques et donner l’illusion de parler avec de vraies personnes. Les relations amoureuses et sociales, si importante pour Bioware dans ses RPG, ont toujours été au centre de Dragon Age (encore plus que Mass Effect) et avec un côté progressiste rarement observé dans des jeux grand public (surtout pas en 2009). Car oui, même si ce n’est pas le cas à 100%, les joueurs de Dragon Age, ce sont pour la plupart des personnes qui appartiennent à la communauté LGBTQ. Qu’importe le ouin-ouin présent sur les réseaux par quelques mascu fâchés, la licence a toujours été ce refuge pour les personnes mal représentées dans ce média.
Je me suis fait une réflexion : pourquoi Dragon Age est-il aussi important pour cette communauté ? Pourquoi lui et pas un autre, qui permet autant d’avoir un personnage transgenre ou de permettre de relations gays ? N’étant pas directement concerné, mais ayant la chance d’avoir des personnes proches qui, iels, le sont, j’ai pris le temps d’aller partir en quête de réponse. L’une des plus évidentes concerne David Gaider, l’auteur à l’origine de Dragon Age, qui n’a pas seulement écrit l’univers et l’histoire entre 2009 et 2014, mais aussi la majorité des personnages ainsi que les livres et comics en lien avec la série. David est ouvertement homosexuel depuis plusieurs années et dans un long billet, il explique d’ailleurs ce que c’est d’être une personne homosexuelle dans le jeu vidéo et comment l’inclusivité a été un pilier important dans son travail.
« Une personne queer autant impliquée dans un tel univers y incorpore forcément un « langage » qui se fait reconnaître par d’autres personnes queers. Même si ça ne se voyait pas directement […], on ressentait cette présence qui nous correspondait. » me raconte mon ami Gummy dans un témoignage sur son rapport à la licence. « Le Sci-Fi à la Mass Effect, avec son côté militaire, rends beaucoup moins une image queer-friendly que Dragon Age, où dès le début, on se retrouve avec des hommes en robe de mage ou en jupette de soldat ».
Voilà quelques bonnes réponses à mes questions.
DA:O et DA2 étaient quelque peu timides sur les messages queer (on dénote simplement la présence de relations bisexuelles), mais DA: Inquisition amène le sujet bien plus sur la table, certaines romances pouvant être bloquées suivant le genre, mais aussi la race de notre Inquisiteur, en lien avec les croyances ou les cultures. La sexualité des personnages n’est plus définie par le joueur, mais bien par leurs développements et leurs constructions. Mais c’est notamment la présence de Krem, deuxième personnage transgenre de la série (le premier étant Maevaris Tilani dans un comics), qui permet clairement d’envoyer un message fort à toutes les personnes qui se sentent exclu par les règles hétéronormées, dessinées dans les relations sociales et amoureuses du jeu vidéo. Ils parlent même de thérapie de conversion au travers de la quête personnelle de Dorian. Dragon Age ne s’est jamais caché d’être queer, la différence se fait probablement qu’à l’époque, le sujet n’était pas autant un combat de l’alt-right qu’actuellement, malgré la grande haine déjà présente lors de la sortie de DA:I.
Donjons et Caleçons
Si vous n’êtes pas trop concerné par la cause, vous devez surement vous demander pourquoi je vous parle de notion de genre et de sexualité dans un RPG d’héroïque fantaisie ? Eh bien déjà pour avoir un peu de contexte et surtout, parce que la déclaration de Michael Douse, le Publishing Director de chez Larian Studio (encore eux) m’a fait cogiter (voir capture à droite).
Dragon Age : The Veilguard aurait pu être cet Action RPG qui se contente d’être un opus de plus, auquel on greffe des mécaniques tendances, sans jamais essayer de faire mieux. Peut-être que les départs/licenciements après les échecs des précédents jeux ont permis d’amener de nouveaux·elles développeurs·euses qui ont justement suivi le mouvement progressiste amené avec la licence DA. Ou alors simplement que Bioware n’en a plus rien à cirer de prendre des pincettes avec ceux qui ne veulent pas de politique dans le jeu vidéo. Quoi qu’il en soit, le studio canadien a décidé qu’en 2024, il était temps de faire mieux que d’associé l’identité de genre à un pronom, une voix n°2 sur un style de corps n°4 et une partie génitale n°1.
La création de personnage, en plus d’être l’une des plus complètes du genre (avec Dragon’s Dogma 2), permet de définir la race (quatre disponibles), le pronom, le genre et ainsi que le corps parmi une ribambelle de propositions, accompagnées de son lot de curseur (on a même le droit à des cicatrices de chirurgie de la poitrine) ! Bref, tout est là pour créer votre Rook (un nom passe-partout, c’est pratique quand tous les dialogues sont doublés et localisés). Mais votre personnage ne va pas juste être défini par quelques curseurs, au fur et à mesure de l’aventure, vous aurez des propositions qui vont établir son caractère, ses idées, mais aussi son identité de genre. Ceci pourra donner lieu à des dialogues particuliers, avec vous-même comme avec vos compagnons. L’identité de genre est maintenant un concept intégré et présent au sein même de l’univers. Elle va apporter une couche de plus sur la construction de votre personnage (si vous le souhaitez) mais aussi de certains de vos camarades, ceci pourra prendre une place (parmi plein d’autres sujets) dans les dialogues.
vieille garde
Si j’ai passé autant de temps à insister sur la composition social du titre, c’est surtout parce qu’à mon sens, DA : TV est avant tout bâti sur un jeu social. On est là pour communiquer, discuter et en apprendre plus sur cette Qunari un peu bourrue ou de ce dandy Nécromancien aux manières british. Toute la composante Action-RPG autour semble moins complexe (même si en vrai, ça va) et garde son statut de « fun à jouer » pour rendre l’histoire fluide. Le système de combat de Andromeda (et de Anthem par extension) est réutilisé, avec des combos pour déclencher des « détonations » et jouer à l’apprenti sorcier avec des réactions en chaine. Ces combos doivent être agencés en fonction des classes/sous-classes proposées, qui auront chacune un intérêt dans une dynamique de groupe. Mage de contrôle, archer en coup critique, guerrier au bouclier etc. tout y est pour que les combats soient amusants, rapide à prendre en main, mais avec une certaine difficulté (que vous pourrez personnaliser, si vous voulez que les ennemis soient plus intelligents, mais pas des sacs à PV, par exemple). Le jeu place même un changement d’arme pour chaque classe de combat, afin de pouvoir se battre à distance et au corps à corps. Comme l’a très bien dit Michael Douse dans son tweet, « c’est mieux qu’un jeu d’action et moins compliqué qu’un CRPG ».
Évidemment, vous vous doutez bien qu’on est aussi là pour une histoire, déjà bien avancé depuis Origins, et surtout : du LORE. Depuis le premier épisode, Dragon Age décris un monde assez singulier. Il s’inscrit dans un univers sombre, où les différentes factions sont en guerre, politiques comme militaire, et la magie est quelque chose de puissant et dangereux, venant d’un monde onirique appelé l’ « Immatériel« . Cet endroit est peuplé de démon qui peuvent posséder les faibles qui utilisent la magie, entre autres. Chaque épisode expose tout le contexte géopolitique, mais aussi religieux. Que ce soit au travers de l’épisode Inquisition, avec Andrasté et la Chantrie, mais aussi avec l’Enclin de manière générale, considéré comme la punition du Créateur pour les pêchers des êtres vivants. Tout cet amas de mythologie est acté comme véridique et l’entièreté de la société fonctionne sur les cantiques de la lumière. Vous avez compris le parallèle, je pense.
Soudain, The Veilguard arrive avec ces gros sabots au travers de l’histoire du personnage de Solas, lequel on a appris par le biais de The Trespasser (l’épilogue payant de DA:I) qu’il était le Dieu Elfique de la Tromperie (rien que ça). L’intrigue commence par la chasse de ce dernier, qui veut détruire le Voile de l’Immatériel pour libérer les anciens dieux Elfes. Mais il se trouve que le passé de Solas sera l’un des fils rouges de l’histoire, occasionnant beaucoup de remises en questions sur l’univers dépeint au travers du Créateur. Je n’en dis pas plus, mais si Veilguard possède une histoire principale de combat contre les dieux (comme toutes les histoires de AAA depuis God Of War), je suis absolument fasciné par la manière dont il amène les choses. Régulièrement, les personnages se réuniront autour d’une table pour parler des évènements, amenant des débats politiques et théologiques.
Ces discussions seront souvent recentrées sur vous, en vous demandant votre avis, ce qui aura un impact sur vos relations avec les différents personnages et définira un peu plus le caractère de votre Rook (et amorcera quelques que dialogues orientés). Certes, les embranchements ne sont pas si nombreux, mais la construction et l’implication que ça apporte pour le joueur est assez remarquable. On regrettera juste que certains choix n’aient pas un plus gros impact sur les compagnons, notamment ceux qui vous suivront jusqu’au bout. Il aurait été intéressant que des désaccords s’installent suite à vos opinions ou vos choix. Il arrive que certains compagnons s’absentent, mais ce ne sera jamais définitif.
Je ne peux décemment pas arrêter cet article sans passer un peu de temps de parler de la direction artistique du jeu. On le sait, elle fait débat au sein des g@merz qui ne comprennent pas que « couleur » ne rime pas forcément avec « enfantin ». Si vous regardez un peu les captures jointes à cet article, vous remarquerez la diversité des ambiances, la grandiloquence des décors et le character design tout à fait délicieux pour chaque personnage. Le monde de Thédas dans The Veilguard est un appel constant à se balader, à explorer et à s’arrêter en mode photo tous les dix mètres. D’ailleurs, Bioware a méticuleusement écarté l’idée d’un monde ouvert pour se concentrer sur des zones sinueuses avec des raccourcis et des portes à débloquer, le tout remplis de secret à trouver, comme pour DA:I (mais en moins vide). Avec ça, le joueur est totalement récompensé de son exploration sans jamais tourner des heures et évite les pièges tendus par l’open world depuis vingt ans (bon, par contre les problèmes de caméra est toujours là). Le tout accompagné par la splendide musique de Lorne Balfe ET Hans « fucking » Zimmer (excusez-nous), qui servent une musique orchestrale nappée de synthés succulente, très atypique pour le genre. De quoi capturer mon esprit pendant plusieurs dizaines d’heures de jeux.
C’était si long d’écrire tout ça. Mais en même temps, je n’ai décemment pas pu livrer critique plus courte tellement Dragon Age : The Veilguard me semble important pour l’industrie. Probablement pas là où on l’attendait d’ailleurs, il ne révolutionne pas l’A-RPG, en revanche, il passe un gap supplémentaire sur l’interaction et la composition sociale dans un jeu résolument tournée là-dessus. Bioware a définitivement compris son public. Avec sa création de personnage complète (qui va au-delà du menu à curseur), sa manière de venir casser ses propres mythes, son appel à l’exploration et son gameplay abordable, mais efficace, il serait dommage de bouder un tel plaisir condensé en une centaine d’heures.
Bon retour parmi nous, Bioware.
Sans être parfait, voilà un jeu qui a le mérite d’être pleins de surprise.