
Voyage dans un autre âge
Sorti fin août 2024 sur PC, PS4, PS5, Xbox One et Xbox Series, Dustborn est un jeu d’action-aventure narratif sur l’amitié et le pouvoir des mots. Dis comme cela, ça peut paraître un peu étrange, alors nous avons voulu voir ce dont il retournait. Développé par Read Thread Games (Draugen, Dreamfall Chapters) et édité par Spotlight (Under the Waves, Lysfanga), le label d’édition tiers de Quantic Dream, avec le soutien du programme Creative Europe Media, il se propose d’aborder un vaste champ de thématiques telles que l’amour, l’amité, les robots, mais aussi la politique, le fanatisme, l’écologie… Pour cela, il nous entraîne dans un road trip surnaturel à travers une Amérique dystopique où John Fitzgerald Kennedy n’aurait pas été assassiné et où Marilyn Monroe serait devenue sa nouvelle femme, alors même qu’un étrange phénomène aurait conduit à l’éclatement des États-Unis d’Amérique tombés sous le coup d’une loi martiale.
Après la tentative d’assassinat de JFK en 1963, qui coûta la vie à sa femme Jackie, celui-ci créa une police militaire aux larges pouvoirs fédéraux appelée Justice. Mais celui que l’on se plait à appeler le père de la République, accompagné de sa nouvelle femme Marilyn Monroe, surnommée Mme Justice, a déclaré la loi martiale après le phénomène étrange de la Transmission. Depuis cet évènement, une petite partie de la population s’est vue dotée de pouvoirs surnaturels. En effectuant des vocalises (ou vocas), ils peuvent manipuler les corps et les esprits. C’est cela que l’on appelle le pouvoir des mots. Mais comme ce qui est différent fait toujours peur, les déviants, ou anomes pour marquer leur anormalité, se retrouvent mis au ban de la société. Le fait qu’ils puissent partir en nova s’ils ne contrôlent pas leurs émotions n’y est pas non plus étranger. Ils sont ainsi traqués au sein de la République d’Amérique devenue une dictature fasciste et se sont pour beaucoup réfugiés à Pacifica, dans la partie Ouest de l’Amérique qui leur offre plus de possibilités et où il est plus facile de se cacher. Mais la vie n’y est pas non plus de tout repos, et les Puritains, des fanatiques technocrates de Pacifica, sont loin d’être bien mieux que Justice.
Aussi, en octobre 2030, après que Theo leur a proposé un coup rémunérateur pour le compte de mystérieux employeurs, Sai, Noam et Pax, trois déviants, ont décidé de tenter le tout pour le tout en dérobant un objet précieux aux Puritains qu’ils doivent livrer sur la Terre Promise de la Nouvelle Écosse, de l’autre côté du continent, où ils pourront repartir à zéro. Mais ils se retrouvent bien évidemment pris en chasse par les Puritains, et doivent traverser la République au nez et à la barbe de Justice. Pour cela, ils joueront le rôle d’un groupe de punk rock nommé Dustborn partant en tournée dans les Provinces à bord d’un bus Cougar Cruiser de 1986 retapé et conduit par un robot. C’est ainsi qu’ils se lancent dans une course-poursuite à travers l’Amérique, de Pacifica à la Nouvelle Écosse, en passant par le No Man’s Land et la République, et en croisant sur leur chemin tout un florilège d’individus et de robots hauts en couleur, prétexte pour aborder de nombreuses thématiques économiques, politiques et sociétales, tout en explorant les liens qui unissent les individus.
Les personnages présents dans Dustborn balaient un large panel. Saï, par exemple, la meilleure amie de Pax, est une amérindienne autiste de confession musulmane à la corpulence imposante et atteinte de vitiligo. Nerveuse, elle aime faire sa drama queen et peut changer son corps en pierre avec ses vocas. Theo, lui, n’est pas un déviant, mais c’est un ingénieur posé d’âge mûr qui sait ce qu’il fait. Noam, quant à iel, vient de Hong Kong et n’est pas genré. Raffiné(e), élégant(e) et romantique, iel peut neutraliser les émotions fortes et c’est le[la] partenaire à répétition de Pax. Quant à cette dernière, que l’on incarne, c’est une arnaqueuse têtue capable de faire souffrir les gens en déclenchant chez eux des émotions fortes. Mais le road trip de 3 semaines à travers 6 500 km réserve également de nombreux autres portraits, comme un robot amoureux, une anome capable de traverser la matière solide, un gang de motard, un anome faisant apparaître des visions en racontant des histoires… Le nombre de passagers du bus va d’ailleurs légèrement s’accroître au fil de l’aventure.
Le style graphique, de type anime, est plutôt agréable et n’est pas sans rappeler un certain The Walking Dead de Telltale, mais en bien plus coloré. Des comics soignés viennent résumer chacune des journées de notre voyage, en fonction des choix opérés, enrichissant même parfois le lore. Ils ne sont malheureusement pas toujours sous-titrés. Les déplacements, quant à eux, se font à la troisième personne dans des univers en 3D dont la particularité est de fondre les mots dans le décor avec le plus bel effet pour donner des indications. On n’échappe pas par contre aux murs invisibles et autres demi-tours imposés si l’on essaie de dépasser les limites autorisées. Nous déplorons également des fondus enchaînés souvent trop brutaux et des temps de chargement parfois un peu longs (en tout cas sur PS5). Et s’il est possible, pour ne pas dire conseillé afin de ne rien rater, de tourner la caméra, y compris pendant les dialogues pour ne rien rater, celle-ci ne se positionne pas toujours correctement. Elle n’hésite pas, par exemple, à passer derrière un mur ou un meuble, obstruant totalement la vue, voire même « à l’intérieur » des personnages. Pas idéal. Il y a d’ailleurs aussi quelques problèmes de collisions mal gérées entre les personnages et le décor, dommage.
Il est, en tout cas, important de bien observer son environnement, car différentes options sont possibles pour résoudre chaque situation, influant ainsi sur la suite du scénario. Cela permet aussi de trouver divers objets, soit pour améliorer notre équipement, soit pour offrir en cadeau au bon moment à nos camarades et améliorer ainsi notre relation avec eux, ouvrant la voie à de nouvelles lignes de dialogue et de nouvelles options scénaristiques. Pax peut également passer dans le Suspendu, un univers étrange où elle se repère par écholocalisation et où elle a des visions d’un arbre doré. C’est là qu’elle peut libérer les échos du passé, restés figés suite à la Transmission. Ces derniers perturbent le monde en diffusant de la désinformation, objet de peur, de colère, ou encore de paranoïa. Il est donc nécessaire de les capturer à travers un mini-jeu visant à contrer leurs mouvements pour les maintenir dans la zone d’enregistrement. L’explosion que cela génère permet en même temps d’ouvrir des portes ou de trouver certains objets. Et avec suffisamment d’émotions négatives stockées, on peut créer de nouvelles vocas via un autre mini-jeu consistant à synchroniser deux ondes puis à passer une phase en QTE.
Les vocalises sont utiles lors des affrontements que nous aborderons un peu plus loin, mais aussi lors des dialogues à choix multiples, afin de manipuler les esprits de nos interlocuteurs. Les choix que l’on opère ont leur importance sur la suite du scénario, et lorsque cela influe sur ce dernier de manière conséquente, un message nous en informe afin de nous prévenir. On retiendra de Dustborn sa propension à s’étaler. C’est un titre particulièrement bavard, même en dehors des conversations. Et cela va parfois vraiment très vite. Comme le titre est en VO (de qualité), si vous n’êtes pas anglophone, vous raterez certainement de nombreux passages. Il est difficile de lire tous les sous-titres (qui comportent d’ailleurs quelques erreurs), surtout en pleine action. Il n’est pas non plus obligatoire de se lancer dans toutes les discussions, et celles-ci peuvent être écourtées. Mais que ce soit dans le texte ou dans les situations cocasses auxquelles on assiste, le titre ne manque pas d’humour.
Au niveau du gameplay, on a aussi les chansons interprétées par le groupe où l’on doit, à travers des QTE, jouer la bonne note au bon moment pour respecter le rythme. Notons, au passage, que les mauvaises notes sont audibles. Les morceaux proposés, que l’on débloque progressivement, sont de qualité et c’est une partie bien plaisante du jeu. Il y a également la partie combat, à l’aide de la précieuse batte de baseball de Pax qu’elle utilise pour frapper ou bloquer, mais aussi lancer pour des attaques à distance. Sa voix, comme celle de ses alliés, est bien entendu de la partie pour se renforcer ou désorienter les adversaires. En appelant ses amis en renfort, elle peut réaliser des combos, y compris un coup critique dévastateur, toujours à base de QTE. Si vous êtes réfractaires à ces derniers, je ne vous cacherai pas que Dustborn risque de vous refroidir. En cas d’échec, on recommence avec le plein d’énergie là où tout s’est arrêté, sans reseter les ennemis. Il n’y a donc pas vraiment de difficulté à s’en sortir, mais un mode histoire est tout de même proposé pour ceux qui ne sont pas attirés par les combats. Bien d’autres activités annexes pourraient encore être citées, le gameplay apporte beaucoup de variété et vient régulièrement briser la monotonie.
Dustborn se présente comme un étrange patchwork d’activités, basé sur un principe original consistant à utiliser les mots comme arme. Si cela peut dérouter, j’ai tout de même passé un bon moment en sa compagnie, avec des camarades de route hétéroclites et des concerts sympathiques à travers une Amérique uchronique. Il n’est certes pas parfait, un peu trop bavard et il ne faut pas craindre les QTE, mais il a son charme et offre régulièrement des nouveautés.