
Dans la peau d’un Ange
Quand deux studios spécialisés dans l’horreur se rencontrent, Frank Stone surgit du brouillard. Entre Dead by Daylight, le célèbre jeu d’horreur multijoueur asymétrique de Behaviour Interactive, opposant les Tueurs aux Survivants, et la narration horrifique dont Supermassive Games est le représentant incontournable (Until Dawn, The Dark Pictures Anthology, The Quarry), il n’y avait qu’un pas qui vient d’être franchi avec The Casting of Frank Stone, sorti en septembre 2024 sur PC, PS5 et Xbox Series. Après avoir accueilli nombre de monstres issus du cinéma et des jeux vidéos, c’est au tour de DBD d’inspirer un nouveau tueur sanguinaire dans un jeu vidéo cinématographique, la boucle est bouclée. Après Hooked on You en 2022 et What the Fog en 2024, The Casting of Frank Stone constitue ainsi le troisième spin-off de Dead by Daylight, mais il s’agit cette fois-ci d’une toute nouvelle approche à travers un jeu solo narratif à embranchement. Voyons donc si le studio britannique est parvenu à fusionner son style avec l’univers du studio canadien.
Augustine Lieber est bien décidée à changer les mondes pour toujours. Son arme ? Frank Stone, un tueur sadique de 36 ans qui, en 1963, a défrayé la chronique en enlevant des enfants pour les tuer, et en massacrant tous ceux qui se mettaient sur son chemin, caché derrière un masque de soudeur horrifique. Le théâtre de ses actes était l’aciérie de Cedar Hills, dans l’Oregon, une petite ville qui ne s’en est jamais vraiment remise. Et c’est à cette époque que vous démarrez votre aventure, avec Sam Green, un policier qui se rend seul sur les lieux, à la recherche d’un nourrisson disparu. Parviendra-t-il à le sauver ? Échappera-t-il aux griffes de Frank Stone ? Tout cela dépend de vous, de vos choix, et de la réussite des actions que vous entreprendrez.
Après 40 ans à faire vivre la ville, l’aciérie fermera ses fortes suite à ces évènements tragiques, mais en 1980, une bande d’adolescents décide de retourner sur place pour tourner en Super 8 un film d’horreur intitulé Aciérie Assassine (Murder Mill). Ce slasher de série B, voire Z, ne restera pas dans les annales du cinéma, mais il déclencherait, parait-il, une rage meurtrière lors de chaque visionnage. On dit même que la CIA l’aurait utilisé pour torturer des prisonniers à l’hôpital psychiatrique de Lery, là où le Docteur mène ses expériences cruelles dans Dead by Daylight. Quelques années plus tard, en 2024, trois personnes se retrouvent conviées dans un manoir isolé, sans trop savoir pourquoi. Qu’est-ce qui les lie, pourquoi sont-ils là et que leur veut leur mystérieux hôte ?
C’est ainsi à travers trois époques que vous devrez naviguer afin d’en apprendre un peu plus sur les tenants et les aboutissants de cette histoire macabre derrière laquelle l’ombre de Frank Stone plane à chaque instant. Mais au-delà du récit du jeu, c’est avant tout l’univers de Dead by Daylight qui est mis à l’honneur. La présence de l’Entité, ce mal incarné intemporel qui se nourrit des émotions fortes de ses victimes, à travers plusieurs mondes, est bel et bien là, mais aussi de nombreuses autres références. Il n’est pas indispensable de les avoir, mais les fans se délecteront de tous ces easter eggs semés un peu partout, à l’image du masque de lapin de la Chasseuse qui traîne sur une étagère, d’un tableau tiré du jeu de Behaviour, ou encore la présence de palettes et de générateurs à réparer. On retrouve d’ailleurs ici la même interface consistant à presser le bouton au bon moment, lorsque le curseur passe dans la zone de succès, obligeant à réagir vite, mais pas trop non plus. Le matériau de base est respecté et l’hommage rendu évident. De ce point de vue, c’est une franche réussite.
Pour le reste, on retrouve le style de Supermassive Games, avec ses qualités et ses défauts. On incarne ainsi tour à tour 8 personnages, certains à plusieurs époques, dont la destinée se trouve entre vos mains. Ce sont en effet vos choix de dialogues ou d’actions, ou la réussite de celles-ci via des QTE, qui influent sur la suite du scénario. Lors des décisions, parfois en temps limité, on retrouve ainsi ce qui rappelle fortement la boussole de The Dark Pictures Anthology, et l’évolution des rapports qui unissent chaque personnage aux autres peut être également visionné sur un écran de menu, comme on en a l’habitude. Les moments cruciaux ayant une incidence importante sur le scénario sont précisés et les points de non-retour clairement indiqués afin d’être sûr d’avoir bien tout fait ce que l’on veut avant de les franchir. Cela dit, s’il y a bien plusieurs lignes scénaristiques possibles (185 embranchements et 16 fins), celles-ci se recoupent et l’histoire générale ne présente pas de grandes variations, mais vos choix ont effectivement des conséquences, parfois tardives, ce qui est plutôt bien vu.
Bien entendu, les conséquences les plus dramatiques sont la mort des protagonistes, celle-ci les attend à chaque tournant. Trois niveaux de difficulté sont toutefois proposés afin de donner plus ou moins de chance de survivre aux personnages. Le scénario, quant à lui, ne casse pas trois pattes à un canard et l’histoire souffre d’un problème de rythme. De plus, on attend d’un jeu d’horreur qu’il nous effraie ou au moins nous fasse sursauter de temps en temps, mais il n’en est rien ici. Et le joueur n’est pas excessivement mis à contribution. Les énigmes comme les combats sont relativement simples, il n’y a bien que les QTE qui peuvent être ratés en surgissant subitement sans prévenir. C’est d’ailleurs essentiellement là que se situe le gameplay, en dehors des choix de dialogue, comme pour le test d’habileté des générateurs qui, contrairement à Dead by Daylight, se déroule tranquillement, sans pression d’être rattrapé par un Tueur. Il s’agit donc plus d’une expérience cinématographique avec de longues cinématiques et une musique angoissante typique de ce type de production, mais efficace. Il y a de jolis plans bien pensés, mais malheureusement les enchaînements sont parfois bien brutaux ou incohérents (position ou attitude des personnages notamment).
Jouable en solo ou jusqu’à 4 joueurs en faisant tourner la manette, voire en faisant participer les viewers sur Twitch en mode streamer, le titre est intégralement disponible en français (à quelques oublis près), avec un doublage correct, mais une synchronisation labiale bien approximative. Les personnages ne sont pas toujours crédibles, mais cela est surtout dû à des textes pas toujours très inspirés. On ne s’attache d’ailleurs pas spécialement à ces derniers, chacun n’étant pas plus développé que cela. Sinon, c’est joli, avec une bonne gestion des ombres et des lumières, RTX à l’appui. On regrette tout de même le recyclage des environnements. Par contre, les animations, lorsqu’elles ne sont pas hachées, sont plutôt de bonne facture, tout comme les visages, tant que les yeux ne deviennent pas hagards. Le titre souffle donc alternativement le chaud et le froid. En tout cas, l’ambiance, sombre et ténébreuse, est là et c’est déjà bien.
Nous ne sommes bien entendu pas obligés de prendre part à toutes les conversations, ni d’étudier chaque objet que l’on rencontre, mais le titre étant assez court, environ 6 heures pour 14 chapitres, autant étoffer le lore au maximum. Notons que les discussions se poursuivent lorsque l’on marche, mais, si on s’éloigne, cela s’arrête puis reprend comme si de rien était lorsque l’on revient. C’est assez étrange. On se déplace ainsi à la troisième personne, avec une caméra un peu trop collée à l’épaule à mon goût pour une bonne visibilité, en restant sur un chemin balisé. Mais des culs de sacs sont prévus et il n’y a pas trop de murs invisibles, ce qui est appréciable. On peut marcher, courir et, lorsque cela est proposé, grimper, sauter, se faufiler, ramper, marcher en équilibre, ouvrir des portes, déplacer des objets… Il faut aussi parfois forcer en spammant une touche, comme lors des affrontements à mains nues. Quelques séquences nous demandent également de viser avant de frapper ou de tirer. Et pour nous guider, nous avons les pensées à voix haute de notre personnage ainsi que les classiques chiffons jaunes. Rien de très original.
S’éloigner du chemin tout tracé est quelques fois possible, cela permet de trouver des objets qui nous seront utiles plus tard, où des documents permettant de mieux connaître Frank Stone et comprendre ce qu’il s’est passé, mais aussi des collectibles sous forme de babioles et de reliques du tueur. Les babioles sont 12 petites sculptures en métal rangées dans des petits coffres similaires à ceux de Dead by Daylight, et les reliques du tueur, 12 poupées à l’effigie des tueurs de Dead by Daylight (le Spectre, le Clown, le Montagnard, l’Infirmière, les Jumeaux, le Farceur…). Les trouver n’est pas toujours si simple, il faut bien fouiller mais, une fois le premier run achevé, l’Instinct du Pillard des survivants de Dead by Daylight sera débloqué et les fera apparaître en surbrillance (le rendre disponible dès le départ en cas de précommande est une drôle d’idée). La salle de montage (disponible dès le début dans la version Deluxe ou après le premier run en version classique) permet de reprendre le scénario à un point précis et indique clairement ce qui a été ou non récolté. Libre à vous alors d’y retourner pour trouver ce qu’il vous manque. C’est aussi intéressant de déverrouiller de nouvelles branches et explorer un nouvel axe scénaristique, malheureusement cela n’est pas assez flexible et oblige à refaire plusieurs scènes avant de pouvoir obtenir ce que l’on veut, ce qui peut s’avérer décourageant. La durée de vie s’en trouve en tout cas rallongée, mais c’est aussi un moyen d’essayer de mieux comprendre le scénario, car la fin nous laisse clairement sur notre faim, toutes les réponses n’étant pas données en plus d’être abrupte. Les conclusions restent un problème chez Supermassive Games.
Avec The Casting of Frank Stone, Supermassive Games parvient à allier parfaitement son style avec l’univers de Dead by Daylight. De nombreuses références rendent en effet hommage au titre de Behaviour. Le scénario reste toutefois très classique et peu inspiré et le gameplay assez minimaliste et simpliste, avec les défauts de mise en scène que connaissent les autres titres de Supermassive Games. Cette expérience avant tout cinématographique est généralement plutôt jolie, avec une ambiance réussie. Ce n’est donc pas un mauvais jeu, mais il ne ressort pas particulièrement du lot et l’on est loin d’un Until Dawn par exemple. La tension et la peur ne font pas partie de la recette, mais il devrait malgré tout ravir les fans de Dead by Daylight à travers sa multitude d’easter eggs.