
Aucune raison de le rater une seconde fois
Bon, je vais me lancer le défi complexe de vous parler d’Assassin’s Creed Shadows sans jamais mentionner un certain jeu développé par Sucker Punch et édité par Sony. Déjà, parce que c’est vraiment une comparaison obvious (et qui pullulera surement partout sur internet). Mais surtout parce que, à mon humble avis, malgré les accointances induites par le genre Action RPG en open world (règles dictées par Ubisoft), il y a clairement eu l’envie d’Ubisoft de s’en démarquer différemment. Si l’un raconte l’histoire d’une île et d’un changement drastique dans les arts de la guerre, Shadows brasse plus large sur le Japon Féodal et, notamment, se concentre bien plus sur les shinobi (malgré la présence d’un samurai). Lançons-nous sans plus attendre dans la critique pas simple de ce nouvel épisode d’Assassin’s Creed, en se rappelant qu’il symbolise un ultime baroud d’honneur pour la grande firme Bretonne.
Je vais d’emblée m’émanciper de tout ce qui concerne la base du gameplay, vu que celle-ci peut être associée à plusieurs autres épisodes de la licence. Prenez le principe de Syndicate (2 personnages jouables pour 2 gameplay différents), mélangez-le avec Origins pour le rapport aux assassins et rajoutez un peu d’Odissey (pour le combat). Vous voilà avec une idée assez claire de ce qui vous attend pendant les nombreuses heures mandatoires qui accompagnent tous les jeux Ubisoft.
La subtilité, c’est que, pour les deux personnages (Naoe la shinobi et Yasuke le samurai), Ubisoft Québec (dont le premier jeu est AC Syndicate, tiens donc), va un peu plus loin dans la séparation des gameplay. Naoe est agile, rapide et possède la vision d’aigle. Elle est équipée d’un grappin, mais, par contre, elle fera difficilement des dégâts en combat. Yasuke, lui, est imposant, puissant, dévastateur et peut écraser tout sur son passage. En revanche, il n’est pas discret, et le moindre petit mur d’un mètre sera une épreuve d’EPS pour lui. Rajoutez en plus que certaines quêtes et activité seront réservées à l’un ou l’autre et vous avez deux propositions de gameplay drastiquement différentes.
Alors, j’en vois certains déjà arriver pour me prendre la chemise et me dire « c’est une femme, donc c’est une Kunoichi ». Étant ce gars relou qui a râlé pendant 8 saisons de Game of Thrones, où des vouivres sont appelés des dragons, je me suis évidemment renseigné. Contrairement à ce que disait Kishimoto dans Naruto, une Kunoichi, ce n’est pas un ninja incarné par une femme, mais plus des femmes entrainées dans la ruse et l’espionnage (et l’appellation désigne juste une femme, en argot). Le but était souvent d’utiliser ses charmes pour draguer un haut placé et lui soutirer une info quand il avait trois sakés dans le pif. Je suis donc content qu’Ubisoft ait fait le taff et parle bien de Shinobi (ou ninja) et pas de Kunoichi.
Mais qui sont vraiment ces deux personnages ? Naoe est un personnage fictif, inventé pour l’occasion, qui a grandi dans une culture et un credo assez propre à ce que nous enseigne les AC depuis le premier épisode. Elle évolue sur la fin du règne de Oda Nobunaga, pas un tendre, qui a globalement tué beaucoup de gens (dont le père de Naoe) dans le but de fédérer les clans, et elle est colère. Oui, c’est encore une histoire de vengeance et oui, encore une fois, c’est une manière déguisée de ne pas vous faire tracer l’histoire comme un bourrin, c’est pas là que ça va se démarquer du reste. Surtout que la mise en scène générale ne donne pas réellement envie de s’investir, on va de cible en cible pour atteindre notre but, entrecoupé de cinématiques bien trop longues pour leur propre bien.
De l’autre, on a Yasuke, personnage réel, issu de l’histoire du Japon. C’est à la base un esclave, né au Mozambique, récupéré et trimballé par des prêtres jésuites italiens. Il est finalement donné au Seigneur Oda Nobunaga, très intrigué par la couleur de sa peau (bien que ce ne soit pas la première personne noire à évoluer au Japon au XVIème siècle). Qualifié par Nobunaga, dans ses écrits, comme un homme avec la force de dix et d’une taille avoisinant les 1,90 m (là où la taille moyenne d’un japonais était de 1,57 m), c’est un personnage marquant dans l’ère Azuchi Momoyama, sur plein de points, régulièrement utilisé dans des œuvres culturels et qui est, je pense, tout trouvé pour incarner un personnage fort et puissant dans un jeu vidéo. Comme dit plus haut, il fait deux têtes de plus que la majorité des ennemis et le sentiment de puissance est assez frappant (vous l’avez ?). Yasuke porte des coups très brutaux et sanglants, il brasse large en combat et il peut asséner un gigantesque coup de pied (le même que dans Odissey) qui enverra valdinguer toute personne en face. Ce qui était un peu surréaliste dans l’épisode grec devient (un peu) plus cohérent quand la jambe du personnage fait une bonne moitié de la carrure de la cible.
Concentrons-nous sur Naoe, c’est donc l’occasion de sortir ma carte face caché sur le terrain : vous vous souvenez de Tenchu ? Cette vieille licence de From Software (propriété d’Activision maintenant, d’où les refs dans Sekiro), elle se retrouve régulièrement dans le gameplay de Naoe. Elle peut globalement faire tout ce que peuvent faire les assassins depuis 2007, mais elle va aussi pouvoir ramper (le futur est enfin là), se servir d’un grappin (au feeling un peu mou, il faut le dire) pour se hisser sur des toits ou se balancer sur des points d’accroches. Mieux encore, l’héritage de Splinter Cell est enfin utilisé à bon escient vu qu’une jauge de visibilité est présente et bougera en fonction de votre présence dans la lumière. Ce qui veut aussi dire que vous pouvez les éteindre (par interaction ou lancer de shuriken) et que même la lumière naturelle influera sur votre visibilité aux yeux de l’ennemi. Il est donc préférable d’être de nuit pour un assassinat ou une infiltration dans une place forte.
Alors, vous m’excuserez du langage, mais bon dieu de merde, pourquoi il a fallu attendre si longtemps pour avoir cette mécanique dans une licence qui a délaissé l’infiltration sociale (on en parlait sur Mirage) pour faire de l’infiltration simple ? Je suis évidemment très content que ça existe, et je vais même être honnête, je ne comprenais pas vraiment comment fonctionnait l’infiltration au début. Jamais l’éventualité que la lumière influait sur ma visibilité dans un Assassin’s Creed, action RPG qui plus est, m’a effleuré l’esprit. Surtout que le tuto à ce sujet m’est venu à l’écran après 30h (j’avais déjà remarqué, heureusement). Ceci a complètement changé la dynamique de mon gameplay, je suis plus patient, j’observe plus mon environnement et j’attends le moment opportun pour frapper. C’est juste dommage qu’on puisse faire passer les saisons, mais pas le jour. Une constante chez Ubisoft maintenant : des bonnes idées, mais un manque d’exécution. Autre problème : c’est un Action-RPG.
Qui dit Action-RPG dit statistique, niveau de personnage, loot et freinage de progression. Je vais être clair, depuis Origins, je conspue largement cette formule, totalement antinomique dans un jeu dans lequel la difficulté est censée se trouver dans le chemin jusqu’à notre cible, sans se faire voir, et non dans la qualité/le niveau de notre équipement. Une lame dans la jugulaire, qu’importe sa qualité, c’est censé tuer sur le champ. J’aurais aimé que cette composante de light-RPG soit vraiment distincte ente les deux personnages. Un pour la bagarre, avec une vraie influence du loot sur les dégâts apportés/reçus. Un autre pour de l’infiltration, où le loot pourrait, par exemple, définir notre agilité et notre discrétion, mais qu’une lame dans la carotide, ça reste une lame dans la carotide.
Comme d’hab, Ubisoft remet en place son mode exploration non guidé dans cet épisode (bien exploité aussi dans Star Wars Outlaws). Il me semble important de le signaler, cette fois-ci, c’est une catastrophe. Les indices pour trouver des gens ou des lieux manquent souvent de clarté. J’ai fini par activer le mode guidé à force de passer une heure à chercher un boug précis sans même pouvoir demander son chemin aux nombreux PNJ dans le monde.
En plus d’avoir deux personnages, Shadows possède aussi deux personnalités. Je vais faire une citation directe de mes notes « On dirait qu’il y a un mec blanc qui a mis tradition/modernité en haut du tableau de projet ». Le jeu alterne entre les phases dans le respect des cultures, avec des cérémonies du thé et des musiques traditionnelles (nos chaussures se retirent quand on est dans un bâtiment !). Soudain, il remplace le shamisen par une grosse guitare saturé, une voix un peu punk se rajoute et devient alors bien plus grunge, avec de la mise en scène que je vais définir comme « un mauvais Tarantino » (non, il n’y a pas de pieds). Je vois clairement la volonté de s’éloigner d’un certain jeu de samurai récompensé par un titre honorifique en lien avec le respect des cultures (vous savez de quoi je parle).
Malheureusement, il souffre quand même de cette comparaison et je vais échouer dans ma mission de ne pas vouloir parler de Ghost of Tsushima. Il est difficile d’attaquer Shadows sur sa philosophie de game design propre à sa série, assez éloignée du titre de Sucker Punch. En revanche, je vais encore passer du temps à rouspéter contre tout ce qui concerne l’iconographie japonaise médiévale. Tsushima est dans le respect le plus strict de la culture. Ubisoft, lui, joue avec tout ça. Il exploite plutôt toute la pop culture autour des ninjas et des samouraïs, que ce soit par les tenues, les animations, la direction artistique, la pub et même l’histoire.
D’ailleurs, on a la sensation que les départements du level design et du game design n’ont pas communiqués. On oscille entre l’urbanisme du XVIe siècle correctement représenté, avec des villes plutôt plates et pauvres en structure à grimper, et de longs trajets qui espacent chaque village (heureusement qu’une monture est présente). Les rares grandes structures à grimper, comme les châteaux et les pagodes, nécessitent une utilisation obligatoire du grappin. Au vu de son feeling, on pourrait avancer que celui-ci est une rustine à un problème pas réellement solvable. Le parkour, pourtant mécanique forte de la série, passe quasiment au second plan, servant la plupart du temps à faire quelques pirouettes sur des toits et grimper quelques murs un peu haut. Heureusement qu’on a une direction artistique qui rattrape un peu le tout, surtout quand il s’agit d’afficher des ambiances différentes, que ce soit avec les variations de lumière, de météo ou de saison (le Japon sous la neige <3).
Il me semble peut-être un peu dur de reprocher à Ubisoft d’avoir un parti pris, en revanche, je ne peux que rouspéter sur l’absence de remise en question sur ce parti pris. Je me souviens encore de Valhalla qui alignait les racks de bouclier comme si c’était la foire du trône ou les symboles nordiques sans aucun sens. C’était le même reproche sur la présence de la marseillaise et des cocardes bleu-blanc-rouge dans AC Unity, à une époque où ça n’existait pas. Ça veut dire que les symboliques derrière sont écartées et que les choses mises à l’écran sont principalement là pour chatouiller l’imaginaire collectif et pas vraiment ancrer l’histoire dans l’Histoire. On ne demande pas une volonté historique comme Kingdom Come Deliverance 2, on souhaite simplement avoir un univers cohérent et vraisemblable. S’inscrire dans une ligne temporelle et vouloir la suivre, ça implique de ne pas jouer avec les symboliques culturelles, et c’est quelque chose qu’on reproche depuis trop longtemps à Ubisoft pour ne pas s’énerver devant son écran.
Bon, ce n’est pas aujourd’hui qu’Ubisoft sauvera les meubles. Certes, Assassin’s Creed Shadows est intéressant à plein de niveau, la dualité des deux personnages fonctionnent bien, l’infiltration a une base solide et on a tout de même un Japon Féodale plutôt bien représenté dans son ensemble. Malheureusement, on sent régulièrement les stigmates d’un projet qui a voulu aller dans plein de directions différentes. Si la formule de Light RPG vous plait, vous passerez quand même un bon moment, malgré des longueurs de mise en scène et un début assez poussif.