
Livraison express, en balai c’est pesé.
Après le remaster des trois premiers Tomb Raider en février 2024, Saber et Aspyr a l’air bien décidé à dépoussiérer le fond de catalogue de feu Eidos. Le remaster des deux premiers Soul Reaver s’inscrit dans cette ligne, de manière un peu imparfaite et bizarre, mais, bon, pourquoi pas après tout.
A sa sortie initiale en 1999, le premier Soul Reaver apparaît comme une sorte de tour de force technique. Imaginez un peu : un monde ouvert, sans temps de chargement où on peu passer en temps réel entre deux dimensions avec un effet de morphing époustouflant ! Une ambiance sombre gothique et post apocalyptique, une écriture magnifique, une VF de grande qualité (avec le très cher dans nos cœurs Benoît Allemane, RIP, et Bernard Lanneau). Eidos avait mis le paquet sur le marketing, des pubs partout, un projet cross média avec le groupe de rap Psykopat, un comics chez Top Cow, pour environ 4 millions de dollars de budget total. Le jeu nous permet de suivre les aventures de Raziel, vampire, tué par Kain, puis ressuscité par un mystérieux ancien qui lui permet de partir en quête de vengeance. Il obtient le pouvoir d’absorber les âmes pour s’en nourrir et la capacité de naviguer entre le plan physique et le plan spectral, où la physique ne s’applique pas de la même façon et où la topographie se modifie. On est donc devant un jeu d’action à énigmes, où il faudra utiliser quelques pouvoirs et pousser un nombre effroyable de blocs pour progresser tout en combattant mollement des adversaires un peu idiots. Le jeu fut un succès, et le petit Shutan (enfin pas si petit, mais bon quand même) comme beaucoup d’autres personnes, acheta donc son exemplaire Playstation, fasciné par les reviews, les images et la jaquette du jeu à hologramme lenticulaire. Le test du Player One numéro 100 indiquait quand même « entre 40 et 60 heures de durée de vie » et les trois pages tapissées de captures d’écran faisaient vraiment envie. La douche froide fut assez terrible.
Oui, parce que ce qu’on ne savait pas, c’est que Soul reaver premier du nom n’était finalement qu’une grosse intro. Le jeu prévu initialement (et écrit par Amy Hennig, qui partira bosser sur Uncharted ensuite, par exemple) était bien trop ambitieux pour l’équipe de Crystal Dynamics, et une rupture avec Silicon Kinghts (les développeurs du premier Blood Omen) (oui parce que Soul Reaver est une suite) et une myriade de problèmes techniques ont fait que le jeu a dû être amputé. Et puis de manière assez sale, hein. Pour faire simple, au bout de 8 petites heures à empaler des monstres, à pousser des caisses et à passer d’une dimension à l’autre pour ouvrir des grilles, le jeu se termine sur un cliffhanger ! Alors que rien ou presque n’est résolu, que le rythme du jeu commence à s’emballer, et qu’on croit qu’il nous reste énormément de chemin à parcourir et d’évènements à vivre teasés par des visions, dans un couloir interminable juste avant le combat « final » mais qu’on pense être le combat du milieu, au moins ! Ce « à suivre » je l’ai très mal vécu à l’époque (bon, j’étais jeune et émotif). J’ai revendu le jeu dans la foulée. Pourtant, quand la suite sort, deux ans plus tard, je suis là, comme le bon gros pigeon. Enfin, je me dis que « eh, ptêt que cette fois, on aura la fin ? ». Alors oui, et non. Il y a bien un cliffhanger aussi à la fin de Soul Reaver 2, mais le rythme du jeu est meilleur, et puis cette fois-ci, je m’attendais à la douille. Plus beau, plus grand, avec des combats plus intéressants, de nouvelles énigmes et des voyages temporels, Soul Reaver 2 est plus ambitieux, mais pas beaucoup plus long à vrai dire. Ensuite viendra Defiance, qui clôturera la série un peu malgré lui (et toujours sur un cliffhanger, c’est une manie…).
Ce qui fait que ce remaster panse un peu cette vieille plaie adolescente. Pouvoir finir Soul Reaver et enchaîner directement sur sa suite rend l’expérience globale bien plus cohérente, les deux jeux forment alors un diptyque intéressant (et d’une vingtaine d’heures de durée de vie, ce qui est honorable). Pour autant je ne sais pas trop à qui peut convenir ce jeu. Malgré les améliorations graphiques, la musique réparée, les ajouts de QoL, la maniabilité plus moderne, et le fait qu’on puisse lancer les jeux sans avoir à sacrifier un chevreau au dieu Kernel 32, il reste quand même un poil dans son jus. On retrouve des déplacements un peu rigides, du combat à mille lieues de ce qui se fait maintenant dans les jeux d’action aventure, mais des énigmes toujours assez retorses. Le gimmick du jeu, à savoir la navigation entre le monde physique et le monde éthéré, reste visuellement impressionnant, si on se remet dans les chaussons Snoopy d’un joueur de l’époque. Cette mécanique n’a pas été forcément revue ailleurs, donc de ce côté-là, on a toujours un petit effet waouh qui fonctionne à peu près, même si le framerate plus élevé rend ces passages un peu trop rapides, et du coup moins cinématique, dans le premier jeu. Graphiquement, le travail sur les textures est à féliciter, on retrouve l’ambiance d’origine, surtout sur le premier (qui bénéficiait tout de même d’excellentes textures pour l’époque), mais le plus impressionnant est le travail sur l’amélioration des personnages et des monstres. La bascule possible entre l’ancienne et la nouvelle version (et le mode photo) permet de se rendre compte à quel point les ennemis, et Raziel, d’ailleurs, étaient représentés de façon assez abstraite, avec une économie de polygones, mais qui permettait (avec la basse résolution des télés de l’époque aussi, hein) de combler les « trous » et les imperfections. Les nouveaux assets sont évidemment bien plus détaillés, mais respectent l’image qu’on s’en faisait à l’époque, un gros travail a été effectué à partir des dessins préliminaires et des concepts. D’autres petits bonus viennent aussi accompagner le jeu sous la forme d’une encyclopédie, d’une carte, de vidéos making of, et plus intéressant, enfin pour moi, des morceaux de niveau qui ont été coupés du jeu final, et montrent des petits bouts de ce qui aurait pu être. Et, bon, ben en vrai, Soul Reaver 2, c’est quand même mieux que ce qu’on aurait pu avoir si le jeu initial avait été complet, n’en déplaise au Shutan de 1999.
Soul reaver 1&2 Remaster est donc un package assez improbable, très respectueux du matériel original, mais forcément incomplet. Peut-être qu’un remaster de la série entière aurait été préférable, parce que là, on n’a quand même qu’un fragment de l’histoire, sans début, sans fin (bon, ça, on ne l’aura jamais) et sans spin off. L’intérêt est purement nostalgique, donc difficile en l’état de juger de son attrait si on n’a pas été touchés à l’époque par ces histoires de vampires. Reste une écriture vraiment impeccable, et une VF incroyable, d’un vocabulaire délicieux et d’acteurs peu nombreux, mais qui semblent bien s’amuser.
Pas facile à manipuler, la hallebarde dans une caravane…
Le passé est enfin respecté.