Critique

Chained Echoes

Gattu
Publié le 11 février 2023

Développeur

Matthias Linda

Éditeur

Deck13

Date de Sortie

8 décembre 2022

Prix de lancement

24.99 €

Testé sur

PC

Lorsqu’on observe les images chatoyantes et pixelisées de Chained Echoes, impossible de ne pas penser à un énième titre façonné sur RPG Maker qui tenterait de ressusciter l’âge d’or lointain du jeu de rôle japonais. Pourtant, c’est bien avec Unity que Matthias Linda a peaufiné son premier rejeton durant six longues années. Un temps de gestation nécessaire pour donner naissance à cette tragédie shakespearienne, qui s’inspire aussi bien de Final Fantasy VI, Suikoden II ou encore Chrono Trigger. S’il est passé sous les radars de la presse spécialisée — la faute peut-être à une campagne marketing très discrète, ou le fait qu’il s’adresse à un public de niche —, Chained Echoes s’impose bel et bien comme la surprise de la fin d’année 2022.

 

Ainsi valandis

Le continent de Valandis est en proie à un conflit centenaire. Trois nations ennemies s’en disputent les terres, dans un affrontement acharné et sans pitié. Grâce au Grimoire, une étrange pierre qui offre à son possesseur un avantage technologique indéniable, le belliqueux Royaume de Taryn est tout proche d’une victoire totale. Alors une bande de mercenaires idéalistes — menés par Glenn et Kylian, deux des principaux personnages de Chained Echoes — décident de se lancer dans une ultime mission suicide, pour assécher la soif de domination de ce dernier. À l’aide de puissants méchas, les soudards perceront les lignes défensives de leurs adversaires, mettront la main sur le Grimoire et le détruiront. Mais lorsque la pierre se brise, un voile lumineux enveloppe les environs. Des milliers d’âmes sont soufflées et une région entière est rayée de la carte. Face à la catastrophe, un traité de paix est ratifié, mais les rancœurs demeurent.

Dès les premières minutes de jeu, Chained Echoes impressionne avec son folklore touffu ainsi que son contexte diplomatique complexe. Chaque nation vient avec son passé, sa vie politique tortueuse et sa société dans laquelle les angoisses collectives et les ambitions individuelles s’entrechoquent. Le titre de Matthias Linda met en scène tellement de belligérants différents, que l’on ne peut s’empêcher de penser à la richesse d’un certain Trône de Fer, l’œuvre littéraire inachevée du fameux George Martin. À tel point que l’on regrette l’absence d’un codex, que l’on aurait pu consulter pour se rappeler les motivations des nombreux acteurs qui interviennent à un moment ou un autre de l’aventure.

le dessous des cartes

Sans surprise, les protagonistes — qu’ils s’avèrent jouables ou non — se montrent foisonnants, et mis en valeur par une écriture minutieuse. On sent dans ce Chained Echoes un véritable goût pour la belle phrase et la réplique percutante, avec ce souci d’orchestrer des dialogues dynamiques et prenants. Si Glenn — notre talentueux pilote de mécha — s’érige rapidement comme le principal personnage de nos péripéties, tous les autres héros auront voix au chapitre, à l’instar d’un certain Final Fantasy 6. Les relations se nouent et se dénouent, les enjeux s’assombrissent progressivement, et le tout donne lieu à une épopée mature, voire par endroits très sinistre, qui s’émancipe d’un manichéisme facile.

Bien qu’efficace, la narration déployée par Matthias Linda ne se montre pas épargnée de quelques maladresses. En effet, à force de vouloir rendre haletante son aventure, Chained Echoes se perd dans un schéma révélation-trahison répété ad nauseam, qui finit par ne plus surprendre. Un écueil que l’on peut retrouver dans le nombre d’acteurs, tellement élevé qu’il est compliqué d’offrir à chacun d’entre-eux la même consistance, la même finesse. D’autant que, comme nous l’évoquions précédemment, le titre allemand est animé par cette volonté de placer équitablement tout le casting sous le feu des projecteurs. Une intention louable mais qui exige une qualité d’écriture forte pour tenir sur la durée. Ici, il arrive que nos héros s’abandonnent à quelques bafouilles creuses et sans saveur, car ils doivent coûte que coûte intervenir dans chaque saynète. Ne nous y trompons pas, l’histoire de Chained Echoes reste très agréable à suivre et bien plus développée que dans d’autres jeux d’un genre identique, mais Matthias Linda aurait pu encore plus aiguiser son récit en privilégiant la qualité à la quantité.

À première vue, les ardents pratiquants de jeu de rôle japonais seront peu surpris par les mécaniques mises en avant par Chained Echoes. On y retrouve des combats au tour par tour, des sorts tonitruants et des classes de personnage plus ou moins offensives. Là où le titre allemand fait preuve d’une première originalité, c’est en permettant à nos protagonistes de récupérer tous leurs points de vie à la fin d’une bataille. Ainsi, la difficulté se montre assez relevée pour obliger le joueur à appréhender chaque accrochage avec stratégie. Pas la peine d’espérer rétamer les monstres qui nous font face grâce à une magie surpuissante : cela ne marche pas, même en dehors des empoignades contre les boss. C’est au contraire en s’appuyant sur la complémentarité de nos héros — jusqu’à huit jouables dans une même escarmouche, avec un système de rotation à la Final Fantasy X — et sur un usage dosé de leurs capacités — car les points de mana sont limités — que nous pouvons sortir facilement vainqueurs d’une échauffourée.

CHAIned echoes imite, mais il le fait bien


La seconde fantaisie de Chained Echoes vient de la mise en place d’un système de synergie lors des altercations. Pour la faire simple, une barre synergique s’emplit et se désemplit au gré de l’utilisation de nos compétences. Le but est de la maintenir à un niveau ni trop bas, ni trop élevé, pour que nos héros restent en synergie, ce qui leur permet d’infliger et d’encaisser (beaucoup) plus de points de dégât. Ce numéro d’équilibriste permanent ajoute un certain dynamisme aux combats, puisqu’il nous empêche de marteler tel un automate les attaques les plus puissantes du jeu. Enfin, Mathias Linda arguera qu’une dernière excentricité émaille son bébé, puisqu’il est possible à mi-parcours d’enfiler les chausses d’armures célestes — ou dit plus vulgairement de « méchas ». Mais à part mettre en scène des affrontements plus spectaculaires et régaler les fanas de géants métalliques, cet ajout ne change pas grand-chose à la jouabilité du titre.

Outre la castagne, Chained Echoes offre de belles heures d’exploration, dans un monde ouvert qui regorge de secrets. Passages dissimulés dans le paysage, trésors enfouis sous terre, chasse aux monstres : voilà ce qui attendra l’obsessif capable d’éplucher attentivement chaque environnement. Surtout que les cartes sont grandes et parées d’un pixel art du meilleur goût auquel on peut juste reprocher un léger manque d’audace artistique, malgré un univers steampunk accrocheur. Au-delà de dénicher du loot et de la monnaie sonnante, jouer les Magellan permet aussi de recruter des PNJs disséminés ça et là. Car comme dans l’illustre saga des Suikoden, on se retrouve bien vite à devoir gérer une base rebelle, qui grandit et évolue au gré des recrutements. Décidément, ce Chained Echoes sait comment flatter ce doux sentiment de nostalgie.

Aux avides de jeu de rôle japonais, ce Chained Echoes s’érigera telle une madeleine de Proust, tant il s’inspire de titres incontournables qui ont su, en leur temps, structurer notre imaginaire. Bien que mettant en avant un gameplay somme toute classique, la première œuvre de Mathias Linda récite ses gammes avec une belle efficacité, grâce à des pugilats retors et une exploration à l’honneur. Mais c’est surtout l’ambitieuse écriture de Chained Echoes qui surprend, car elle est agrémentée d’enjeux matures et d’une géopolitique étonnamment inventive. Tout n’est pas parfait bien sûr — la narration pèche parfois par gourmandise, en démultipliant les révélations scénaristiques —, mais ce parti pris se montre rafraîchissant, à l’heure où de nombreux JRPG se contentent de raconter des histoires gavées des mêmes clichés. Voilà un effort qui mérite récompense, avec la première sélection GSS de l’année 2023.

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