
Une aciérie dans le brouillard
Après s’être fait la main dans le domaine du jeu coopératif à deux joueurs chez Starbreeze Studios, avec Brothers: A Tale of Two Sons en 2013 (et son remake en 2024), l’iconique scénariste et réalisateur libano-suédois Josef Fares, a fondé Hazelight Studios en 2014. Celui-ci en est désormais à son troisième titre, tous édités par Electronic Arts. L’aventure a en effet commencé avec A Way Out en 2018, avant de connaître le succès que l’on sait avec It Takes Two, élu meilleur jeu de l’année 2021 aux Game Awards, et de se poursuivre aujourd’hui avec Split Fiction. Et si It Takes Two s’est écoulé à 1 million d’exemplaires en un mois, puis à 2 millions en 3 mois, il n’aura respectivement fallu attendre que 48 heures puis une semaine à Split Fiction pour atteindre les mêmes scores. Sachant qu’It Takes Two dépasse aujourd’hui les 23 millions d’unités écoulés, à combien va finir Split Fiction ? Le succès est clairement au rendez-vous et le moindre que l’on puisse dire est que les jeux d’Hazelight sont dorénavant attendus de pied ferme. It Takes Two a même largement détrôné Battlefield V en nombre de connexions simultanées sur Steam. Hazelight Studio est désormais la référence incontournable dans le domaine du jeu d’action-aventure en coop.
Si Split Fiction reprend le modèle d’It Takes Two, il nous plonge en revanche dans un tout autre univers. Rader Publishing est une société d’édition qui propose aux jeunes auteurs de publier leurs écrits. Mais pour cela, ils doivent venir dans les locaux de l’entreprise et se prêter à un petit jeu dans lequel une machine expérimentale les propulse au sein de leurs histoires. C’est dans ces circonstances que Zoé, auteure de fantasy, et Mio, auteure de SF, se rencontrent. Et autant la première est joviale, extravertie et très sociable, autant la seconde est son opposé. Tant et si bien qu’elle se méfie de ce qui l’attend et finit par se rétracter au dernier moment. Mais Rader, qui dirige la société, ne voit pas d’un très bon œil ce refus. Une confrontation s’ensuit et Mio se retrouve alors propulsée dans la « bulle » de Zoé.
Dès lors, leurs histoires vont se mêler et cela va compliquer l’extraction de leurs idées recherchée par Rader, du fait de l’apparition d’anomalies que cet imprévu a engendrées. Mais ces dernières empêchent aussi de mettre fin à l’expérience. C’est donc à leur recherche que vont devoir se lancer les deux écrivaines pour pouvoir se tirer de cette mauvaise passe, au grand désespoir de Rader qui craint pour sa machine. Elles vont ainsi alternativement parcourir les différentes histoires imaginées par l’une et par l’autre depuis leur plus tendre enfance, inévitablement inspirées par leur propre vie. Qu’elles se retrouvent poursuivies par des trolls, à se soulever face aux forces intergalactiques, dans la peau de métamorphes, ou encore à combattre la pègre en tant que cyberninjas, elles vont peu à peu apprendre à se connaître, y compris elles-mêmes, allant jusqu’à explorer leur propre subconscient.
L’aventure proposée par Josef Fares est encore une fois palpitante. C’est spectaculaire et, en dehors des cinématiques, cela ne s’arrête jamais, jusqu’à l’aboutissement dans un dernier chapitre épique et complètement fou. Faisant preuve d’énormément de créativité, avec des idées à la pelle, le titre varie en permanence son gameplay de manière magistrale et particulièrement efficace, sans jamais se répéter. Il s’agit bien entendu surtout d’un jeu de plateforme, avec des énigmes à résoudre pour tracer son chemin, mais pas que, loin s’en faut. Il y a divers mécanismes à exploiter, parfois en les piratant, mais aussi des combats, du shoot’em’up, et de nombreuses courses poursuites, que ce soit à pied, à moto, en voiture volante, à dos de dragon, en skateboard ou en hover board, en ski nautique, en jet ski… Il y a même des passages où l’on joue avec la gravité, d’autres en chute libre, ou encore avec un jetpack, sous l’eau, et j’en passe.
Et l’on n’incarne pas que Zoé et Mio, celles-ci prennent aussi parfois d’autres formes que j’éviterai de spoiler ici, mais qui ne sont pas dénuées d’humour. De petites touches décalées viennent d’ailleurs régulièrement nous faire sourire. Il y a quelques gros délires. Même au niveau de la forme, cela varie. Si le jeu est essentiellement en 3D, il passe aussi quelques fois en 2D, en scroll horizontal, comme en vue du dessus, voire même en 3D isométrique. Mais dans tous les cas, cela reste sublime et toujours très fluide et bien animé. Si l’on rajoute, en plus, une mise en scène particulièrement soignée et efficace, un doublage français de très haute qualité et une magnifique bande-son, sachant alterner les thématiques SF et fantasy avec brio, il y a de quoi s’extasier. Il y a bien une cinématique dans laquelle l’animation labiale des interlocuteurs avec lesquels Rader discute en visio est absente, mais c’est vraiment un détail. Le seul bémol que je peux émettre réside dans les quelques crashs rencontrés en jouant en ligne, mais le jeu se relance très rapidement et nous repositionne à l’endroit où cela s’est arrêté, où très proche.
Précisons si cela est nécessaire que le titre se doit d’être joué à deux. Il est clairement impossible de franchir seul certains passages. Il est indispensable que les deux joueurs agissent de concert et de manière synchronisée. Cela se traduit par la présence d’un écran en deux parties, mais qui se réunit aussi parfois, les deux personnages se déplaçant alors dans le même plan. Et afin de toujours trouver quelqu’un avec qui jouer, Hazelight met à votre disposition une chaîne sur Discord, et le fameux Pass Ami est à nouveau de la partie. Il suffit de télécharger celui-ci gratuitement pour pouvoir rejoindre un joueur possédant le jeu. De plus, s’il est possible d’héberger une partie sur Steam entre joueurs PC, le crossplay (PC, Xbox et Playstation) est également disponible, avec un hébergement sur les serveurs d’EA, même si cela m’a semblé un peu moins stable et plus empreint de lags. Enfin, comme pour bien se coordonner et se synchroniser, il est mieux de communiquer, l’utilisation d’un micro en conseillée, même si, sans vrais amis, il vaut mieux ne pas être anglophobe.
Nous terminerons en insistant sur le fait que Split Fiction présente une réelle histoire autour des histoires imaginées par ses héroïnes. Bien entendu, rien n’est ici approfondi, puisque l’on passe sans cesse de l’une à l’autre, mais l’histoire principale a tout de même sa petite touche d’émotion. Et les clins d’œil sont légion : Assassin’s Creed, Bioshock, Tony Hawk, God of War, Control, Prince of Persia : Les Sables du Temps, Dune, Piège de Cristal, Les Gardiens de la Galaxie, Les Trois Petits Cochons… Ce sont en tout 8 chapitres autour desquels se décline l’aventure, avec en tout 72 niveaux à traverser, certains plus longs que d’autres, mais aussi 12 petites histoires annexes farfelues qui ne déméritent pas et s’avèrent bien plaisantes à traverser, en plus de permettre de changer régulièrement d’univers, apportant ainsi encore plus de variété.
À cela, vous pouvez encore rajouter un 85ème niveau secret particulièrement difficile (il faut dire que les premiers à le vaincre se voyaient offrir un voyage en Suède pour visiter les studios d’Hazelight et découvrir le prochain jeu d’ores et déjà en développement). Pour le reste, le soft n’est pas particulièrement punitif puisque si l’un seulement meurt, l’autre continue et le défunt finit par repoper à ses côtés rapidement. Il n’y a donc qu’en cas de double échec que c’est le game over, mais celui-ci ne renvoie pas très loin et ne remet pas les compteurs ennemis à zéro. Rien n’est donc insurmontable et il vous faudra entre 12 et 14 heures pour en venir à bout, un peu comme It Takes Two, à condition de ne pas buter sur quelque chose. Mais une fois l’aventure terminée, vous en redemanderez encore et vous n’aurez qu’une envie, recommencer dans la peau de la seconde protagoniste, car chacune a son propre gameplay. Délectable.
Entre son action continue et effrénée, ses graphismes, sa bande-son et son doublage de haut niveau, ses changements de rythme et de genre continus, son absence de répétitivité, son humour et son impressionnante diversité de gameplay, Split Fiction a tout pour vous séduire et vous divertir. N’hésitez pas, il FAUT y jouer. Il pourrait d’ailleurs bien devenir, comme son prédécesseur, le GOTY 2025, à moins, pour paraphraser Josef Fares lui-même, que GTA 6 sorte cette année, mais, tout comme lui, nous attendons ce dernier avec impatience, ce serait donc un moindre mal.