Fading Serenades : tiens, voilà le facteur !

Fading Serenades : tiens, voilà le facteur !


Le jeu de livraison, voilà un sous-genre qui a bien du mal à émerger, et ce, malgré le succès tonitruant des deux opus de Death Stranding. Il faut dire que ces dix dernières années, les joueurs friands de monde ouvert ont plutôt développé une allergie à ce qu’ils appellent, avec une pointe de mépris, « les quêtes FedEx ». Seule la vision avant-gardiste de Kojima pouvait rendre grisante une activité aussi austère. D’ailleurs, les quelques tentatives qui surfèrent sur la vague provoquée par le papa de Metal Gear connurent de diverses fortunes. On pense à Lake, qui confondit méditation et ennui. Ou à Cloud Punk, dont l’ambiance bien travaillée n’échappa pas à l’écueil de la répétitivité. Pourtant, malgré leurs défauts, ces deux productions se sont correctement vendues, ce qui prouve qu’il existe bel et bien un public pour ce genre de niche. Rien d’étonnant donc qu’un nouveau venu tente à son tour l’aventure. Développé par Bernie Wick, Fading Serenades nous glisse dans les sneakers d’un postier, bourlinguant de cahute en cahute sur une île qui ne compte plus qu’une poignée d’habitants. Comme pour montrer patte blanche, le jeu indé lève même son embargo cinq jours avant sa sortie officielle. De quoi nous mettre en confiance ?

Bienvenue à Clifford !

La Poste vous simplifie la vie

Comme beaucoup d’endroits reculés, l’île de Clifford a vu sa jeunesse déserter les lieux, à la recherche d’une vie plus trépidante sur le continent. Tant et si bien qu’il n’y reste aujourd’hui plus que sept habitants, principalement des vieillards éparpillés aux quatre coins de la zone. Le problème est double : d’une part, les insulaires n’ont plus les cannes pour rendre visite à leurs voisins, et, d’autre part, les infrastructures qui connectent l’île ont été laissées à l’abandon et sont désormais inutilisables. Les ponts se sont écroulés, le bateau taxi est tombé en panne, puis il y a cette corruption qui ronge discrètement les sols de Clifford et entrave les déplacements. Conséquence de l’incurie, la population s’isole de plus en plus, et c’est toute une culture qui disparaît à bas bruit.

C’est dans ce contexte tristounet que débarque, au port du chef-lieu, le nouveau coursier de l’île. Callum est un jeune homme plein de vigueur, qui ne se sépare jamais de son robot-assistant, un peu bavard, Par. Il rencontre rapidement Copper, le postier proche de la retraite, qui lui explique les rudiments du métier et lui présente la carte de Clifford. Un moulin, une ferme, des falaises, une forêt… autant d’endroits que Callum apprendra à sillonner pour livrer efficacement son courrier. Chaque habitant est susceptible de lui confier un colis, ainsi qu’une tranche de vie, teintée de nostalgie. Plus que distribuer ses paquets, notre héros raccommode les liens abîmés par l’autarcie, entre des gens qui ne se rencontrent (parfois) plus depuis des années.

On saisit vite pourquoi. Sous ses airs de paradis pour ermites, l’île de Clifford se révèle accidentée, semée d’embûches qui compliquent son exploration. Callum devra jouer les funambules sur des rondins de bois pour franchir des ruisseaux, sauter au-dessus de ponts effondrés, escalader des parois rocheuses. Chaque effort grignote une barre d’endurance sur laquelle on garde un œil. Si elle tombe à zéro, notre protagoniste s’évanouit et se paie une grasse matinée pour récupérer, ce qui retarde la tournée suivante.

Livraison express !

Car Fading Serenades s’organise en journées de travail. Callum se lève vers 6h00 et doit être au lit avant 22h30, au risque de s’écrouler de sommeil. Comme le temps s’écoule à chaque changement de zone, il vaut mieux planifier une tournée et l’ordre de ses visites avec soin. Bien vite, on se familiarise avec les lieux, on déniche des raccourcis, bref, on devient un insulaire comme un autre. D’autant qu’il existe des moyens de se faciliter la vie. Il y a déjà ces lanternes éteintes disséminées sur l’île, qui nous permettent de gagner en endurance lorsqu’on les rallume. Puis, notre héros va pouvoir dépenser son salaire — glané au fil des livraisons réussies — dans des chaussures d’escalade ou de course, et accéder à de nouveaux chemins. Enfin, on insuffle une étincelle de vie à Clifford en réparant ses infrastructures, ce qui fluidifie nos tournées.

Fidèle à la douceur qu’il exhale, Fading Serenades ne punit jamais le joueur. Ainsi, que l’on délivre ou non tout notre courrier, on assume que l’insatisfaction d’un travail bâclé, et accessoirement un salaire plus mince. Finalement, la plus grande difficulté réside dans la gestion de notre inventaire, limité en place. Surtout que les villageois ont la fâcheuse manie de nous refiler des colis incongrus : moteurs de bateau, canne à pêche et paniers de légumes… que des objets qui occupent une place impossible dans notre besace. On invoque donc nos compétences pour le rangement, affûtées sur Tetris, afin de tout faire tenir. Parfois, nos concitoyens nous demandent des services particuliers, comme leur ramener des champignons sauvages ou des rondins de bois, mais la répétition de ces situations finit par lasser. Si l’on comprend l’intention — que l’on se délecte de la monotonie tranquille d’une vie insulaire —, le jeu vidéo n’obéit pas tout à fait aux mêmes logiques.

De belles idées, mais un manque de profondeur

Pour éviter cet écueil lié au genre, Fading Serenades offre quelques respirations, où la quête principale progresse grâce à des livraisons spéciales. Cependant, ces cassures restent trop éparses pour éviter une forme de lassitude. Il arrive que des jours entiers défilent, durant lesquels on livre les mêmes colis, qui s’accompagnent des mêmes lignes de dialogue. On aurait aimé que Bernie Wick approfondisse la mythologie de cette île hors du temps, et qu’il aborde plus franchement l’aspect science-fictionnel, seulement effleuré, de son univers. En d’autres mots, qu’il exploite à fond ce potentiel d’écriture souvent entrevu, mais victime de sa timidité. La fin est d’ailleurs à l’image de cette maladresse, si abrupte qu’elle tranche avec la philosophie pleine de tendresse du titre.

Quel dommage ! Le monde de Fading Serenades était pourtant porté par un pixel-art inspiré, dont les teintes pastel retranscrivent à merveille cette atmosphère empreinte de calme et de poésie. Les décors fourmillent de détails, entre les rongeurs qui s’enfuient à notre approche, le clapotis de l’eau des rivières et les lucioles qui apparaissent à la nuit tombée. Mention spéciale aux lumières chaudes habillant le crépuscule du soir, particulièrement réussies. Vous l’aurez compris, le titre a ce charme rétro qui en enchantera plus d’un. La minutie apportée à la direction artistique, par rapport aux autres compartiments de jeu, nous peine d’autant plus.

Gattu
Fading Serenades, c’est un peu l’histoire d’un postier qui part tambour battant sur les sentiers de sa tournée, mais qui s’essouffle à mi-parcours à cause du poids de ses colis. Le titre aurait mérité une boucle de gameplayOu « jouabilité » en français, fait référence à la façon dont le joueur interagit avec un jeu vidéo. plus épaisse, et des historiettes plus approfondies. On sent pourtant le savoir-faire de Bernie Wick, capable de brosser un univers attachant en quelques coups de pinceau, et qui séduira les joueurs à la recherche d’une expérience apaisante, à défaut d’être complètement aboutie.

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