KARMA: The Dark World : Sous son œil

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KARMA: The Dark World : Sous son œil

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Jeu cinématique psychologique à la première personne, KARMA: The Dark World est le premier titre du studio chinois Pollard, fondé en 2018. Conçu autour de la réflexion philosophique du sens à donner à la vie, il se présente comme un thriller dystopique sur fond d’espionnage avec une petite touche horrifique. Il s’intéresse à la façon dont les êtres humains se perçoivent dans différents environnements et vise surtout à générer un ressenti à travers une expérience immersive. Le titre, qui soutient la lutte contre les maladies mentales, nous place ainsi dans un monde dans lequel les choses ne sont pas toujours forcément ce qu’elles semblent être et où chacun peut se demander à tout moment s’il n’est pas en train de perdre la tête. C’est un voyage spirituel particulier qui nous est ici proposé ici. Très psychédélique, il cherche à ce que le joueur s’interroge sur sa condition humaine, tout en éveillant en lui des émotions.

Prédateurs nocturnes

Allemagne de l’Est, 1984. L’URSS s’est chargée de la reconstruction d’après-guerre et de la nationalisation des vaincus. C’est là que nous nous réveillons, allongé sur un lit de ce qui semble être une chambre d’hôpital, de gros tuyaux branchés dans le bras. En déconnectant ces derniers, c’est une épaisse substance liquide noire qui s’en échappe. Le problème est que l’on ne sait pas ce que l’on fait ici, ni d’ailleurs qui l’on est.  Et ce n’est pas la vision du monde extérieur par la fenêtre, qui parait être artificiellement créé, qui nous en apprendra bien plus. En sortant de la chambre, ce n’est pas mieux. Les couloirs sont vides. Finalement, nous rencontrons d’autres êtres « humains » trempant, sous bâche, dans des baignoires, et dodelinant frénétiquement avec, à côté, un tas de cadavres entassé. Tous ont les mêmes trous dans le bras pour brancher ces curieux tuyaux déversant du liquide noir. Derrière une porte se trouve un vieil homme. Il semblerait que nous ne sommes pas comme les autres et que, peut-être, nous pourrions enfin réussir ce qui ne l’a jamais été, de l’autre côté de l’abîme. Mais pour cela, il faut retrouver nos souvenirs.

Il paraîtrait que notre nom est Daniel McGovern, un des agents Roam, surnommés les prédateurs de la nuit, du Bureau des pensées. Après être passé par un étrange lieu au milieu d’une étendue de liquide noirâtre dans laquelle baigne le buste de deux géants et se dresse un curieux monolithe blanc incandescent, nous utilisons le baladeur confié par le vieil homme pour plonger dans le passé. Cela nous ramène en 1976, alors que nous enquêtions sur un incident inhabituel survenu au Winston Institute. Le suspect, Sean Mendez, est bien vite arrêté et c’est à nous de l’interroger. Pour cela, nous nous rendons en salle d’immersion où, grâce à une interface d’extraction mémorielle, nous pouvons plonger dans la mémoire des accusés pour revivre les évènements qui y ont été emmagasinés, dans la peau de ces derniers, et ainsi obtenir les informations recherchées sans avoir besoin de leur consentement. C’est ainsi que nous découvrirons la vie tragique de Sean Mendez qui prétend être traqué par un monstre. Et petit à petit, nous mettrons en lumière une étrange conspiration allant jusqu’à douter de notre propre identité.

Vis ma vie de merde

Avec KARMA, Pollard mise surtout sur la narration qui se révèle ici plutôt intéressante. Alors, certes, il entre peut-être un peu trop rapidement dans le vif du sujet, ce qui ne simplifie pas la compréhension que le joueur peut avoir de cet univers si particulier, mais c’est peut-être aussi ce qui est recherché. Il faut bien avouer que même une fois toutes les ficelles démêlées, je ne suis pas certain de tout avoir très bien compris. Chaque joueur doit y trouver ses propres réponses. Le titre s’inspire de nombreuses autres créations cinématographiques et vidéoludiques, mais celle qui saute le plus au visage reste Twin Peaks, ne serait-ce que pour la Red Room que l’on semble retrouver presque à l’identique. Et si cette série est exceptionnelle, qui peut se targuer d’avoir tout saisi aux propos de Mark Frost et David Lynch ? Il en est un peu de même avec KARMA. Les nombreuses cinématiques qui viennent conclure l’histoire nous en apprennent tout de même beaucoup, mais une part d’ombre demeure, tant le jeu jongle avec les réalités et se délecte des situations psychédéliques et autres hallucinations.

Ceci dit, c’est aussi une critique bien ficelée de notre société. Dans ce monde dans lequel la Leviathan Corporation est venue libérer les peuples de la peur et de l’incertitude de l’avenir générées par la guerre qui prévalait, tout est désormais sous son contrôle.  Mère, l’IA qui supervise tout et est symbolisée par un œil, promet un avenir radieux. Mais pour cela, elle doit recourir à l’autoritarisme, ainsi que tout voir et tout savoir. Bien que transposée en Allemagne de l’Est, la critique du gouvernement de Pékin est à peine voilée, et les relents de 1984 de George Orwell, année où l’on se trouve justement, sont bien présents. Un système de classes sociales est mis en place, à base de crédits sociaux permettant de sanctionner les mauvais employés et de promettre l’ascension sociale aux bons éléments. Et pour encore plus d’efficacité, quoi de mieux que d’utiliser ce liquide bleu mis à leur disposition. Cette drogue psychotrope permet de réduire la fatigue et d’améliorer la concentration en évitant les distractions, pour encore plus de productivité. Grâce à cela, on pourrait même supprimer les improductifs jours fériés, week-end et autres vacances. Certes, cela annihile les émotions et peut finir par rendre dépendant, anxieux et irritable, mais c’est l’entreprise qui prévaut.

Ce qui était n'est plus, et inversement

L’ambiance est très bien mise en place, malaisante et angoissante, appuyée par une bande-son oppressante qui parachève l’effet recherché, avec de très beaux morceaux. Pour encore plus d’immersion, également favorisée par l’absence d’ATH, il est d’ailleurs conseillé de jouer avec un casque. Cette critique du monde du travail et de l’entreprise, où l’on doit perdre sa personnalité et obéir sans discuter, à grand coup d’abrutissement et d’assujettissement, quitte à déboucher sur du surmenage, du stress, de l’anxiété, de la déprime, ou encore des troubles mentaux, sans aucune empathie pour la condition humaine des sujets, est particulièrement appuyée. Notons que les visages ont bien souvent disparus, soit derrière des écrans cathodiques remplaçant les têtes des citoyens, soit floutés dans les souvenirs, ce qui renforce encore plus ce sentiment de déshumanisation. Et ceux que l’on peut voir de près, sont bien souvent torturés. Plutôt jolis, avec de beaux jeux de lumière et autres réflexions, les environnements sont, eux aussi, très tourmentés, avec un aspect labyrinthique induit par des modifications continues de leur structure et une dimension fantastique. En vue subjective, avec une caméra en perpétuel mouvement, certains passages sont particulièrement réussis.

Tout est en symbolisme et en thématiques fortes, KARMA joue avec la frontière entre la réalité et l’imagination, à tel point que l’on finit par douter de tout et que la santé mentale de notre protagoniste pourrait en subir les conséquences. Disponible uniquement en chinois ou en anglais sous-titré, mais avec un doublage de qualité, il en demeure pas moins un jeu vidéo avec un certain gameplayOu « jouabilité » en français, fait référence à la façon dont le joueur interagit avec un jeu vidéo. allant de la résolution de puzzles obligeant à explorer et à fouiller chaque recoin, avec parfois à la clé des collectiblesObjet d'inventaire devant être collectionné. à obtenir en déchiffrant un message codé, aux affrontements de monstres à l’aide d’un appareil photo permettant aussi de faire disparaître les illusions destinées à masquer certains éléments et symbolisées par de gros yeux globuleux peu engageants, en passant par des courses poursuite. Pour le reste, il s’agit de suivre la trame scénaristique proposée, en lisant ici ou là des documents, ou en écoutant quelques cassettes sur notre baladeur. Le chemin est tout tracé, à tel point que certaines portes ne s’ouvrent qu’une fois que l’on a fait ce qu’il fallait faire avant, mais le voyage en vaut le coup. Cela ne plaira sans doute pas à tout le monde, mais celui qui accrochera avec le concept vivra une belle expérience d’environ huit heures.

KARMA : The Dark World est avant tout une expérience à vivre. Tout en étant varié, le gampeplay reste assez limité et très directif. Mais si les univers à la David Lynch et autres dystopies de type 1984 sont votre tasse de thé et que vous aimez les délires psychédéliques, vous devriez adorer la proposition de Pollard. Avec une superbe bande-son et des images soignées favorisant l’angoisse, KARMA joue avec les esprits et la santé mentale afin de formuler une critique tranchante de la société et de la déshumanisation induite par le monde de l’entreprise.