Bye Sweet Carole : La jeune fille et le goudron

Bye Sweet Carole : La jeune fille et le goudron

Figure emblématique de la scène du développement italien, Chris Darril (Remothered) signe ici un jeu d’aventure narratif « horrifique » avec son jeune studio indépendant Little Sewing Machine. Supporté par le ministère de la culture et la direction générale du cinéma et de l’audiovisuel italiens, Bye Sweet Carole est produit par les suédois de Maximum Entertainment (Degrees of Separation, In Sound Mind, Soulstice, Squirrel with a gun, etc.). Entièrement dessiné à la main, en s’inspirant des grands classiques de l’animation du XXème siècle, le titre a su se démarquer grâce à sa direction artistique particulière. Mais cela en fait-il pour autant un bon jeu ? C’est ce que nous allons tenter de voir en partant à la recherche de Carole, qui a mystérieusement disparu de l’orphelinat où elle résidait.

Le retour de la princesse

Bye Sweet Carole est l’histoire d’une jeune fille petite et vulnérable dans l’Angleterre du début du XXème siècle, Lana Benton, qui a dû affronter le décès de sa mère. Placée dans l’orphelinat de Bunny Hall, au milieu de camarades peu accueillantes qui ne se privent pas de la harceler, elle n’a trouvé refuge qu’en Carole Simmons, une autre jeune orpheline. Le courant passe grâce à leur côté rebelle commun, face aux convenances de la société patriarcale, qui cherche à leur inculquer comment devenir des femmes dignes et des épouses modèles. Mais voilà, Carole a disparu du jour au lendemain, et Lana se retrouve désormais seule. Elle aimerait savoir ce qu’il s’est passé et où est partie son amie. Peut-elle avoir fugué sans rien lui dire ? Les questions se bousculent dans sa tête, jusqu’à ce qu’une lettre signée d’elle vienne attiser encore plus sa curiosité. Sauf que la missive s’envole avant d’avoir été lue, notre héroïne n’a donc d’autre choix que de la poursuivre afin d’en découvrir le contenu.

C’est ainsi qu’elle se retrouve confrontée à un nouveau monde nommé Corolla et, d’après les petits oiseaux qui viennent l’aider et lui parler, elle en serait la princesse dont ils attendaient impatiemment le retour. Un lapin à lunettes lui dérobera également la lettre et l’entraînera dans des environnements de plus en plus lugubres, où une chouette et d’autres créatures aux yeux rouge semblent représenter un danger évident. Elle finira par croiser celui qui dirige tout cela et qui la pourchasse pour une raison qu’elle ignore : M. Kyn, un individu métamorphe fait de goudron et qui porte un haut de forme. Au cours de son aventure, elle pourra également compter sur l’aide de M. Baesie, un être dégingandé, tout en longueur, à la tête mal fixée et au parapluie lui permettant de voler et se battre. De plus, un mystérieux garçon ayant apparemment un lien avec Carole arpente les couloirs de Bunny Hall. Qui est-il et que veut-il ? Sans parler de cette silhouette encapuchonnée qui l’observe depuis les fenêtres de l’orphelinat. Que de mystères à résoudre.

Un monde de goudron, de cendre et de charbon

Avant toute autre chose, ce que l’on retient de Sweet Carole, c’est bien entendu sa direction artistique. Entre ses oiseaux qui rappellent Blanche Neige et les Sept Nains, et ses voyages entre deux dimensions qui évoquent inévitablement l’univers de Lewis Caroll (Alice au pays des merveilles) et son lapin à lunettes, le titre rend un véritable hommage aux films d’animation classiques, avec leurs princesses aux attitudes et aux styles vestimentaires caricaturaux. Dessiné à la main comme dans le temps, il ne se cache pas de ses inspirations et rajoute même le petit grain d’antan à l’image. Les cinématiques entre chaque chapitre sont délectables, et le titre joue à fond sur la corde émotionnelle de la nostalgie. Partant de là, on a du mal à voir comment il pourrait aussi appartenir aux jeux d’horreur, comme annoncé. En fait, il y a bien quelques monstres et autres jump scares, mais rien de bien méchant. En tout cas, pas de quoi le classer dans cette catégorie à mon sens.

Si les cutscenes bénéficient de belles animations, ce n’est pas forcément le cas en jeu. Ce dernier souffre en effet de mouvements saccadés. Le contrôle du personnage est d’ailleurs très approximatif, ce qui n’aide pas à rendre intéressant les quelques combats ultra basiques qui s’offrent à nous. Heureusement, ceux-ci sont assez anecdotiques. L’affrontement final (et un autre un peu avant) sont en revanche bien trop longs, vu le peu d’intérêt qu’ils présentent. En contrepartie, ils ne sont pas difficiles à gagner. Pour le reste, on passe l’essentiel de notre temps à explorer des environnements en 2D. On peut marcher, courir, grimper et escalader, ou encore déplacer des objets et tirer des leviers, avec quelques QTE en prime lors des phases de fuite. Des parties de cache-cache sont en effet au programme, avec possibilité de se planquer et de retenir momentanément son souffle lorsque le danger approche. Toutefois, attention aux objets que l’on peut renverser et qui attireront l’ennemi, même si cela représente aussi un bon moyen d’attirer son regard ailleurs. Et la lumière peut, à un moment, être mise à profit pour repousser une menace invisible.

Il y a également des passages où il faut conserver l’équilibre, avec un système de balancier, mais toutes les chutes ne sont pas mortelles et la santé se régénère automatiquement avec le temps. Heureusement d’ailleurs, car les passages de plateforme peuvent être délicats vu la précision des contrôles. Reste que notre héroïne peut mourir de multiples manières, et qu’il est d’ailleurs amusant d’en explorer toutes les possibilités. C’est en tout cas plus intéressant que la collection de boîtes aux lettres que le titre nous propose. À côté de cela, nous avons des challenges de danse où il faut reproduire des pas en tempo via des QTE. Mais l’essentiel repose surtout sur des puzzles à résoudre pour parvenir au chapitre suivant. Il y en a 10 en tout, qui s’étalent sur plus ou moins 8 heures. En général, il s’agit de trouver un objet (une clé, par exemple) ou de combiner plusieurs items entre eux. A noter que les points d’interaction sont signalés par une petite lumière, lorsqu’on s’approche d’eux.

Tic tac, tic tac, tic tac

La petite particularité du titre est la possibilité de se transformer en lapine et d’alterner entre les deux formes afin de profiter des avantages de chacune selon les situations. En lapine, on peut courir plus vite et faire de grands sauts ou se glisser dans des passages étroits, voire grimper entre deux parois en rebondissant entre l’une et l’autre. Cependant, on est aussi plus vulnérable, là où on sera plus résistante et plus grande en forme humaine, ce qui est utile pour atteindre certaines poignées en hauteur. C’est aussi le seul moyen de grimper aux échelles ou de traverser les passages nécessitant de garder l’équilibre. À cela se rajoute Baesie que l’on peut parfois contrôler pour se battre avec son parapluie, et dont la tête peut se détacher et s’écraser là où personne ne peut aller. Notre ami peut aussi momentanément s’électrifier ou s’enflammer pour profiter des propriétés de ces deux éléments. Plusieurs allers-retours sont bien souvent nécessaires pour parvenir à nos fins, et il y a même un passage où l’on peut jouer avec le temps et alterner ainsi entre le présent et le futur. À défaut d’être bien mis en application, le gameplayOu « jouabilité » en français, fait référence à la façon dont le joueur interagit avec un jeu vidéo. a au moins le mérite d’être varié.

On peut encore noter au niveau des reproches quelques défaillances techniques : artefacts visuels, actions qui ne se déclenchent pas avant d’avoir relancé le jeu, image qui reste noire en changeant de pièce, objectifs atteints non validés si on ne les réalise pas dans l’ordre prévu, ou encore absence totale de synchronisation labiale. Je précise ici que je parle bien de la version originale en anglais, puisque le titre ne propose que des sous-titres en français, mais pas de doublage. La VO est cependant de qualité, avec un conteur qui joue idéalement son rôle, il serait dommage de s’en priver. La bande-son est tout aussi séduisante, avec des musiques parfaitement adaptées, dans la lignée des grands dessins animés du genre. Le gros point fort de Bye Sweet Carole reste clairement son aspect narratif de conte de fée, articulé autour de l’imaginaire de l’enfance. C’est à la fois triste et beau, avec plein d’espoir à la clé. Comme le soft ne cesse de le répéter : « Le vent n’attend pas que les voiles soient hissées pour se mettre à souffler ».

Le symbolisme autour du temps est omniprésent, comme le témoigne la présence des horloges qui viennent rappeler que les minutes, les heures, mais aussi les années passent et qu’il n’est pas possible de revenir en arrière. Les gens changent, les lieux changent, il n’y a rien à y faire sinon l’accepter. Il ne faut pas avoir peur de grandir, au contraire, il faut trouver en soi le courage de faire face aux évolutions qui viennent bouleverser notre quotidien. Inutile de fuir ce monde pour se réfugier dans sa bulle protectrice, en cherchant à arrêter le temps qui ne cesse de vous filer entre les doigts. Et parmi les bouleversements de ce début du XXème siècle au Royaume-Uni, il y a le mouvement des suffragettes qui est en passe de renverser le patriarcat bien installé, en cherchant à défendre la cause féminine et à libérer la femme de l’emprise des hommes. Ces derniers n’ont donc vraiment pas le beau rôle dans cette histoire. Prétentieux, supérieurs, condescendants, goujats, malotrus, irrespectueux… ce ne sont pas les termes péjoratifs qui manquent pour les décrire. Fini les mariages forcés et la rigueur imposée à la femme anglaise, l’heure de la révolution a sonné !

Bye Sweet Carole
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Nyam Hazz
Difficile de passer à côté de la direction artistique réussie de Bye Sweet Carole qui joue à fond la carte de la nostalgie des grands films d’animation d’antan. Entièrement dessiné à la main, le jeu offre une esthétique séduisante et une histoire de princesse coincée entre deux mondes plutôt sympathique. Construit autour de la notion de l’implacable écoulement du temps et de la montée en puissance du mouvement des suffragettes dans le Royaume-Uni du début du XXème siècle, le scénario dépeint une société en plein changement, n’en déplaise au patriarcat et aux mâles alpha. Même s’il est présenté comme un jeu d’aventure horrifique, ne vous attendez pas non plus à quelque chose d’effrayant. Il y a juste quelques monstres contre lesquels lutter, mais pas de quoi se cacher sous la table. Côté gameplay, en revanche, cela reste clairement perfectible. Essentiellement basé sur la résolution de puzzles environnementaux et la recherche d’objets permettant de passer à l’étape suivante, il s’avère assez grossier avec des animations saccadées et un contrôle très approximatif. Heureusement, tout est très simple et à la portée de tous, ce qui fait que, finalement, cela ne pose pas trop de soucis. Pas mal de variété de gameplay est cependant proposée et, en fin de compte, cela passe plutôt bien si l’on n’est pas trop exigeant et que l’on passe outre les quelques défaillances techniques. Cela dit, on retiendra surtout le côté animé du soft, avec une musique ad hoc, et un doublage en VO de qualité.

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