Luto : Cherchez la lumière dans les ténèbres

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Luto : Cherchez la lumière dans les ténèbres

Annoncé depuis 2021 et initialement attendu pour 2022, Luto aura su se faire attendre. Premier jeu du studio espagnol Broken Bird Games, il a souvent été présenté comme l’héritier de P.T. d’Hideo Kojima. Il est vrai qu’avec ses couloirs oppressants, ce walking-simulator horrifique paranoïaque ne peut qu’y faire penser, mais il se rapproche aussi beaucoup de Visage de SadSquare Studio. Sujet d’anxiété, de dépression et d’angoisse, le joueur se retrouve en effet piégé dans sa propre maison dont il doit parvenir à s’extirper. Le ton est donné dès le départ : attention aux plus sensibles, cette histoire parle de mort. Si vous avez affronté la perte d’êtres chers, que vous êtes claustrophobe, que vous craignez la solitude et êtes angoissé par le noir, vous vous sentirez directement concernés.

Le jeu commence comme commencera chaque nouvelle session : vous êtes dans le désert et une tempête de sable vient vous ensevelir. Vous reprenez alors conscience dans votre salle de bain, devant votre miroir cassé qui ne renvoie aucune image. Sam, puisque tel est votre nom, revis constamment ce cauchemar, mais ce n’est pas tout. En sortant de la salle de bain, un lundi, vous allez vouloir partir au travail, mais rien n’y fera, même une fois les clés en main, franchir la porte vous ramène à votre point de départ. Et ainsi s’enchaînent le mardi, le mercredi et les autres jours de la semaine. L’expérience varie toutefois à chaque nouvelle tentative, avec quelques nouveaux éléments qui vont vous en apprendre un peu plus sur votre situation, ou au contraire, vous embrouiller l’esprit. Car tout ceci est de plus en plus irrationnel, et la maison semble cacher de nombreux secrets. Il va vous falloir démêler le vrai du faux tout en surmontant vos peurs et vos angoisses les plus profondes, ainsi qu’affronter la solitude qui vous étouffe, en faisant face aux regrets et autre culpabilité que vous pouvez ressentir.

Surtout que, ce ne sont pas les tableaux plutôt lugubres qui ornent les murs de votre demeure qui vous aident à vous sentir mieux. Ni les étranges sons oppressants que vous pouvez entendre, sans parler des draps fantomatiques qui deviennent de plus en plus nombreux et viennent parfois vous bloquer le passage. S’agit-il de véritables fantômes ou de constructions de votre esprit ? Rien n’est très clair, mais les références aux membres disparus de votre famille ne manquent pas, tout comme ce symbole sous forme de deux barres blanches similaires au symbole mathématique de l’égalité. Après avoir visité l’étage, le rez-de-chaussée et le sous-sol, vous découvrirez bien d’autres dimensions encore, bien au-delà de la cave. L’environnement est en effet mouvant et se renouvelle sans cesse, parfois de manière incohérente. Et que penser, enfin, de cet inconnu au téléphone ? Cherche-t-il à vous aider ou à vous effrayer ? Avez-vous fait quelque chose de mal ? Est-ce l’heure d’en payer le prix ?

Seul tout au long du jeu, au milieu de ces draps peu rassurants, on sent pourtant une présence permanente. Le thème de la dépression est ici central, Sam cherchant à se défaire ou au contraire à se laisser envahir par son désespoir, mais les thèmes de la maladie, de la mort et de la culpabilité accompagnent également cette histoire où les quatre membres de la famille ont beaucoup souffert. Sam est en quelque sorte prisonnier de ses souvenirs et il doit parvenir à sortir de l’ombre dans laquelle il se trouve. La tempête de sable, comme les jours qui se répètent, renvoient à la notion de routine que l’on peut assimiler à une prison dont il est très difficile de s’échapper. On peut par ailleurs se référer ici à l’environnement très labyrinthique qui nous amène souvent à tourner en rond. Et c’est beau, même très beau. Les graphismes sont particulièrement soignés et riches en détail, avec une atmosphère ninety’s et de beaux jeux de lumière.

S’il est nécessaire de le rappeler, Luto est avant tout un walking-simulator. Il s’agit donc surtout d’explorer son environnement. Les déplacements se font en vue subjective, avec possibilité de marcher ou de courir légèrement, mais jamais de combattre. Les éléments interactifs sont clairement désignés par le réticule. On peut ainsi saisir des objets (à observer ou à lire) et ouvrir des portes (quand elles le veulent bien et qu’aucun drap ne vient les bloquer). Il y a en effet des portes, beaucoup de portes, mais également des tunnels, des grottes… Certains objets peuvent être requis pour avancer dans le scénario, mais on peut aussi parfois passer à côté, et ceux-ci nous sont alors fournis un peu plus tard. D’autres procurent des informations utiles. Pour nous aider, on dispose d’ailleurs d’un inventaire, de notes et d’un carnet de croquis à compléter avec les feuilles égarées, ainsi que les cartes de maman pour apprendre l’espagnol qui font office de collectiblesObjet d'inventaire devant être collectionné.. Notons que le jeu est en anglais sous-titré en français avec un narrateur au style détaché et serein qui dénote avec l’ambiance au départ, mais qui évolue par la suite.

Outre l’exploration, Luto propose des jeux de cache-cache à base de peluches de singe à chercher, ou d’horloges disséminées un peu partout, mais surtout des énigmes à résoudre. Et si certaines vont de soi, d’autres sont bien plus délicates. La difficulté peut même parfois décourager, mais il faut s’accrocher, car le voyage récompensera vos efforts. Les développeurs jouent en effet avec le personnage, mais aussi avec le joueur lui-même. Certaines dimensions scénaristiques vous surprendront à coup sûr (évitez de regarder des vidéos pour en profiter au maximum). On nous encourage à casser le jeu et on arrive à se demander si l’on n’y est pas parvenu, franchissant ainsi le quatrième mur de manière particulièrement efficace. Le titre ne joue pas que sur le registre de l’angoisse, et sait aussi manier l’humour. Au cours des sept heures que dure environ l’aventure, les chapitres s’enchaînent d’une manière qui semble aléatoire. On a même droit à des réflexions concernant la conception du jeu ou encore à un jeu à découvrir dans le jeu du jeu…

Avec son montage cinématographique réussi, Luto est à la fois original et particulièrement efficace, d’autant plus qu’il est techniquement au point. Par contre, si vous cherchez un jeu d’horreur, ce n’est pas vraiment son créneau. Il y a bien quelques jump scares, mais c’est surtout par son ambiance qu’il vous prendra aux tripes. Point de gore à l’horizon, ni d’évènements véritablement effrayants. Il cherche plutôt à vous mettre mal à l’aise et il y parvient bien souvent. Les passages dans le noir, avec une lampe torche, par exemple, sont assez oppressants. Si bien observer son environnement est important, l’écouter l’est tout autant. Le port du casque est ici grandement conseillé. Les sons favorisent la création d’une ambiance pesante et sont aussi des éléments de gameplayOu « jouabilité » en français, fait référence à la façon dont le joueur interagit avec un jeu vidéo.. Le scénario n’est pas très gai, vu les sujets abordés, ni toujours évident à assimiler, chacun aura sa propre interprétation, mais Luto est une expérience à vivre.

Héritier spirituel de P.T. et de Visage, Luto est un premier titre prometteur signé Broken Bird Games. Sans être véritablement effrayant, il distille une ambiance angoissante et malaisante. Le jeu vous emprisonne dans votre propre demeure, dans vos souvenirs, et joue avec vos émotions, comme avec le joueur lui-même, parvenant à briser de manière toujours étonnante le quatrième mur. L’environnement en perpétuelle mutation, souvent irrationnel, la présence de plus en plus marquée de draps fantomatiques et le sentiment d’être toujours observé, rendent sinistre ce walking-simulator psychologique axé autour de la dépression. Il distille beaucoup de noirceur, et sa lecture n’est pas toujours évidente, tout comme certaines énigmes. Mais avec ses graphismes soignés, son montage cinématographique à la fois original et déconcertant et son ambiance sonore oppressante, Luto atteint efficacement son objectif.

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