Quartet : Rétro et ambitieux
Dans les années 1990, à l’époque où le jeu de rôle japonais a frôlé son apogée, le chiffre quatre s’est imposé comme une convention pour ce genre à succès. On pense en premier lieu aux quatre guerriers de la lumière, devant restaurer les quatre cristaux élémentaires d’un certain Final Fantasy I. Puis, à moult opus (Dragon Quest et Final Fantasy en tête) qui mettent en scène des affrontements avec quatre protagonistes. Alors, n’est-ce pas d’une logique absolue d’enfin trouver un JRPG ayant adopté le nom de Quartet ? Un terme qui évoque par ailleurs la structure la plus classique d’un groupe de jazz, dans laquelle quatre instruments entrent en osmose pour délivrer une performance musicale hypnotique. Comme une métaphore des quatre combattants, qui s’offrent chacun leur tour un solo pour tataner de la chair à canon. Du contrebassiste au mage, il n’y a qu’un pincement de corde. Développé par le studio indépendant Something Classic — déjà auteur de Shadow of Adam, qui avait en son temps reçu les encouragements du jury — Quartet embrasse la symbolique de ce chiffre quatre, en esquissant un univers dans lequel s’opposent quatre mondes, pour autant de visions de la vie.
Une intro tirée à quatre épingles
Dès son préambule, on respire à plein nez les inspirations de Quartet. Sa façon de nous présenter différents prologues à effectuer dans l’ordre que l’on souhaite, évoque la récente saga d’Octopath Traveler, et son identité visuelle — faite de sprites pixelisés très expressifs — au mythique Final Fantasy 6. C’est donc au travers de quatre chapitres introductifs, que l’on apprend à connaître nos protagonistes, vivant au sein de nations qui se distinguent par leur usage particulier de la magie.
Ainsi, l’arrogante Cordelia appartient au royaume de Leornia, où toute la population se montre capable d’user d’enchantements. Puis, on découvre Alexandra qui s’agite avec anxiété dans les venelles de la cité de Seren, où la magie demeure incomprise et émerge sous des formes inattendues. Ensuite, c’est Ben, doué d’une répartie décapante, qui entre en scène dans les terres sauvages de Tyche. Ici, l’utilisation d’un sort est régulée par un ordre aux méthodes plutôt radicales, puisqu’il n’hésite pas à éliminer les mages qui représenteraient un danger pour la société. Enfin, que serait un jeu de rôle japonais sans son pays belliqueux, militariste et classiste ? C’est l’empire Auslen qui enfile les habits du méchant de service, et l’on entrevoit ses mœurs pour le moins critiquables grâce au sergent Nikolaï, futur déserteur, car témoin de l’épuration ethnique d’une ville entière.
Un chœur qui s’essouffle
Si l’on démarre par le chapitre qui nous inspire le plus, c’est tout de même celui se focalisant sur l’empire Auslen qui lance véritablement le scénario. Allégorie assumée de l’holocauste — les noms des personnages s’inspirent d’Allemagne ou d’Europe centrale —, une grande partie de Quartet tourne autour de cet antagoniste aux penchants expansionnistes et génocidaires. Une thématique abordée à l’origine sérieusement, avec son cortège de massacres et ses troufions un peu paumés qui obéissent aux ordres, et de manière plus superficielle à partir de la moitié de l’aventure — les blagues potaches entre deux tueries de civils, ça ne sonne jamais juste. Ce malheureux clivage s’observe dans tous les pans de la narration de Quartet.
Pourtant, après avoir terminé le long prologue, tous les voyants étaient au vert pour vivre une grande épopée. Le titre se montrait rythmé, les protagonistes, au nombre total de huit, étaient construits avec soin, et le loreReprésente l'histoire et les traditions autour d’un univers de fiction, ne constituant pas l’intrigue principale d’une œuvre. hétéroclite de l’univers — entre steampunk, western et fantasy — captivait. Puis, Patatra ! le soufflet s’affaisse, et avec lui les qualités d’écriture subodorées durant l’intro. Les personnages finissent par parler d’une même voix — c’est particulièrement marquant lors des scènes d’exposition — à tel point qu’on en oublie leurs historiettes intimes (pour y revenir comme un cheveu sur la soupe dans les dernières heures du jeu) et le récit devient plus confus, précipité et surtout moins crédible. On pense à tous ces moments où nos héros réchappent à un destin funeste de manière miraculeuse ; un univers fantastique se doit aussi de travailler une cohérence interne. En parlant de nos héros, on regrette les liens affectifs superficiels qu’ils nouent les uns avec les autres, et que notre bande ne fasse finalement jamais groupe. Bien entendu, il n’y a rien de rédhibitoire, Quartet se laisse suivre et s’offre même quelques belles fulgurances (le personnage de Ben nous arrache de nombreux sourires, quand bien même on insiste un peu trop sur son surpoids). Disons que l’on passe d’un récit prometteur, à quelque chose de bien plus générique.
Quatuor en si bemol
D’aucuns diraient que je m’attarde trop sur l’aspect narratif d’une œuvre, et ils n’auraient pas tout à fait tort, alors entrons maintenant dans le cœur de Quartet, c’est-à-dire sa jouabilité. Le titre de Something Classic se présente comme un jeu de rôle au tour par tour, dans la droite lignée de nos vieux Final Fantasy. Nos personnages évoluent de manière linéaire et gagnent de nouvelles compétences plus ou moins offensives au fur et à mesure de leur avancée en niveau. Certaines attaques sont magiques et associées à un élément particulier — feu, eau, terre et vent —, quand d’autres sont physiques — les coups de fusil de notre cher Nikolaï par exemple —, et le but sera de discerner les forces et faiblesses de l’adversaire. Du très sommaire donc.




L’originalité brandie par Quartet vient plutôt de son système de rotations, puisqu’en plus de nos quatre protagonistes, il existe une réserve de quatre autres combattants dans laquelle on peut piocher, si nos ouailles fatiguent. Un tour dans ladite réserve leur permet de récupérer des points d’action, indispensables pour lancer des sorts, mais aussi d’adapter au mieux notre stratégie, selon le bestiaire qui nous fait face. Chose un peu étrange, si jamais on commence l’aventure avec Nikolaï, cette mécanique de gameplayOu « jouabilité » en français, fait référence à la façon dont le joueur interagit avec un jeu vidéo. — qui est l’un des principaux arguments marketing de Quartet — nous est introduite dès les premières minutes de jeu, et ne reviendra qu’au moins dix heures plus tard, lorsque notre casting se retrouve enfin au grand complet. Pari risqué.
Quoi qu’il en soit, si ce système de roulement ajoute indéniablement du punch aux combats, il s’accompagne d’un écueil un peu enquiquinant, qui témoigne du manque de profondeur de Quartet. Plutôt qu’inciter les joueurs à réfléchir à la meilleure tactique à adopter, le titre force les rotations avec des ennemis qui enlèvent fréquemment la presque totalité de nos points de vie en une seule attaque. On devient alors adepte de la stratégie unique, au moins contre le piétaille, puisqu’on se contente d’arroser l’adversaire de nos sortilèges les plus puissants, avant de faire entrer le soigneur dès que notre équipe tire la langue. Contre les boss, on ajoute quelques sorts passifs pour les affaiblir, et le tour est joué sans grande difficulté.


Pour autant, si votre exigence sur ce que doit être un bon jeu de rôle n’est pas trop boursouflée, Quartet reste agréable à parcourir. De la même manière qu’il est agréable d’en arpenter ses décors, taillés dans un pixel-art qui évoque, comme nous le disions auparavant, Final Fantasy 6. On retrouve d’ailleurs ce mélange équivalent de technologie et de magie, ainsi qu’un empire Auslen qui rappelle, jusque dans son identité visuelle, celui de Gestahl. On demeure plus réservé sur la bande originale déployée par Something Classic. Pas mauvaises en soi — certains thèmes restent chouettes à écouter —, les pistes musicales souffrent de leur petitesse, et finissent par taper sur le système. L’autre problème, c’est qu’elles ne sont parfois pas du tout adaptées à la mise en scène. Un air jazzy dans un village barbare, mouais, une mélodie joyeuse alors qu’un assassin surgit pour faire la peau d’un protagoniste, bon…







