Death Stranding 2 : Route similaire ?
Quand j’ai écrit la critique du premier jeu il y a quelques années, j’expliquais que j’avais beau être un énorme fan de Metal Gear Solid, je n’avais pas foncièrement envie d’apprécier Kojima. Pour ce qu’il est et semble vouloir représenter, ainsi que pour toute la starification qui est faite autour de lui et de son génie (qu’on oublie souvent comme un génie d’équipe, sans qui Kojima ne serait rien). Et puis j’ai dû m’y résoudre : Death Stranding, c’était grand. Pas toujours parfait, parfois Kojimaesque avec ses grandes envolées et ses bizarreries qu’on aime ou qu’on déteste, mais c’était grand. Voilà un second jeu qui sort et depuis, tout a changé… sauf Death Stranding ?
Le pont entre deux
Non, je ne vais pas résumer le premier jeu. Oui, cette introduction à l’univers va être plutôt aride, mais si vous lisez cette critique, alors c’est que ce second volet vous intéresse. Si vous n’avez pas fait le premier jeu, alors sachez que vous êtes bons pour un rattrapage manette en main. Ce second jeu ne sert à rien sans le premier, il est une réelle suite. Tellement réelle qu’il en reprend 70 % du contenu. Mais réexpliquons au moins le concept : vous jouez Sam, un porteur, qui doit relier l’Amérique et au-delà en livrant des colis entre des bases qui servent de relais à la surface de la Terre pour toute une population qui vit dans les profondeurs de notre planète. Tout cela à cause du Death Stranding, un cataclysme ayant ravagé tout sur son passage et transformant les morts en… quelque chose de monstrueux que je vais éviter de vous spoiler. Derrière tout cela, il y a un loreReprésente l'histoire et les traditions autour d’un univers de fiction, ne constituant pas l’intrigue principale d’une œuvre. immense, plusieurs plans d’existence et des personnages hauts en couleur. Mais quoi qu’il en soit, s’il fallait expliquer le principe de Death Stranding dans son gameplayOu « jouabilité » en français, fait référence à la façon dont le joueur interagit avec un jeu vidéo., alors il suffirait de dire qu’on livre des colis sur son sac à dos gigantesque (et en véhicule). Il faudra essayer de les amener à bon port, dans le meilleur des états, malgré les pluies acides, les routes accidentées ou inexistantes, la nature qui reprend ses droits et même des milices humaines bien décidées à vous voler votre cargaison. C’est un jeu “uber”, comme on disait à l’époque : et finalement, ça lui va bien.
Le gameplay s’offre alors dans une multitude de gadgets venant améliorer votre confort de livraison : des parcelles volantes accrochées à votre taille qui vous permettent d’en porter davantage, des exosquelettes venant radicalement rendre le transport moins difficile pour vos jambes (mais attention à votre batterie !), de simples hanses pour protéger au mieux les objets fragiles… Tout le gameplay de transport de colis de Death Stranding est jusqu’au-boutiste et force le respect. On retrouve la même chose, en un poil améliorée, dans ce second jeu.
Tout commence avec Sam et BB, dans une introduction rapide sous musique de Woodkid qui nous annonce du meilleur quant à l’OST. Fini le tunnel de vidéos de dix heures du premier jeu : ici, l’introduction est nette : vous êtes à un point A, on vous attend à un point B, on va vous dire sur quelles touches appuyer pour avancer, grimper, tenir vos hanses et éviter de perdre l’équilibre et tout ce qui s’ensuit. La première traversée, l’originelle, celle qui met en place tout ce dont on a besoin dans ce Death Stranding, nous prévient d’une chose dès les premières minutes : Kojima a l’air d’en avoir un peu marre de faire le mariole à enchaîner les explications, références, dingueries et idées philosophiques. Tout du moins, il a appris à les distiller. On retrouve Fragile (jouée par Léa Seydoux) qui évidemment va vous donner une bonne raison de partir à l’aventure. Et pour aller plus loin, il va falloir spoiler…
Spoilers de début de jeu
On ne va rien révéler des événements au-delà des toutes premières heures de jeu mais disons que Fragile va vous demander de reconnecter le Mexique, puis un autre pays. Et vous allez y aller sans trop de motivation. Mais ce qui va être vraiment game-changing dans Death Stranding 2, et qu’on n’attendait pas du côté de Kojima, c’est un drame initial, profond, qui plonge notre héros dans un déni horrible et un désarroi total. En parallèle, on se demande : pourquoi je joue à Death Stranding 2 ? Ça ressemble furieusement au premier ! Et paradoxalement, Sam ne sait plus pourquoi il mène sa quête : il avance mécaniquement. Il répète les jours, les livraisons, sûrement pour oublier ce drame et tout ce qu’il a perdu. C’est fort, c’est triste, mais c’est aussi curieusement questionnable comme choix : ennuyer le joueur et lui laisser le reste du jeu comme terrain de patience avant que l’histoire ne décolle. Comme pour simuler l’aspect dépressif de la situation.
Loin de moi l’idée d’excuser Death Stranding 2 sur un point crucial : la structure est calquée sur celle du premier. Chapitres rythmés de la même manière, personnages mystérieux aux secrets à percer, souvenirs épars, objectifs presque identiques, grande conspiration dont on ne sait rien et qui ne sera expliquée que lors d’énormes cinématiques. Mais pour Sam, tout cela n’a plus de sens pendant une bonne moitié du jeu : il se fiche de tout, il avance, englué dans le déni de ce qu’il a vécu. Et c’est un peu du génie, de transformer ce qui est une faiblesse de gameplay et de nouveauté en réelle expérience narrative.
C’est du Kojima tout craché : il fait un second jeu très identique au premier (sans doute par commande de PlayStation ou pour pérenniser Kojima Productions) et il se sert de ce souci de contenu réellement innovant pour lui donner un sens dans l’histoire. Malin ! Mais en vérité, d’un point de vue du joueur, manette en main, même si c’est futé, ça reste un gros défaut. On rejoue à Death Stranding premier du nom beaucoup trop souvent dans tout ce que propose cette suite et on ne sortira jamais de cette impression jusqu’aux crédits de fin.
L’autre vrai souci de Death Stranding 2, c’est Dollman. Une poupée en mouvement, saturée, contenant l’âme d’un personnage du scénario, accrochée à votre taille et qui ne cesse de vous parler. C’est infernal : c’est Mimir de God of War tout craché, ça ne cesse de vous dire quoi faire, de vous alerter, de vous sortir totalement de la solitude que Death Stranding est censé vous proposer. C’est sans aucun doute le pire défaut de cette suite et une très mauvaise idée, peut-être, une fois encore, commandée par PlayStation pour rassurer les nouveaux venus ? En tous les cas, on déteste.
Une certaine élégance
Tous ces défauts sont difficilement excusables et, en termes de gameplay, sincèrement, Death Stranding 2 n’a pas grand intérêt à exister quand le premier est déjà là. Mais narrativement parlant, c’est intéressant. Déjà parce que le jeu se permet de ne rien raconter pendant 25 de ses 50 heures de jeu, en vous baladant d’un point magnifique à l’autre (techniquement, le jeu est toujours aussi incroyable et c’est sans doute l’un des plus beaux jeux de la PlayStation 5), en vous exposant de nouveaux personnages (très réussis, surtout les personnages féminins !). Il vous laisse le plaisir de profiter des différents relais, régions, même si celles-ci sont parfois décevantes (la neige est très énervante, le désert est complètement vide). Et quand il se déclenche, le récit raconte des choses beaucoup plus humaines que ce que Kojima a l’habitude de nous proposer. Mention spéciale aussi à l’haptique, aux vibrations, aux couleurs d’une manette PS5 pleinement utilisée à bon escient. Les sons qui en sortent, des pleurs de BB aux crépitements de la pluie sur vos colis, rendent l’expérience unique.
Le premier jeu parlait de connexion entre l’espèce humaine. Celui-ci parle de déconnexion. Décalage d’âge, de sensibilité, rupture amicale, deuil, incompréhension. On fuit la vérité, on cache ses faiblesses, on entreprend des stratagèmes complexes juste pour ne pas dire des choses simples qui peuvent tout solutionner ou, au pire, juste simplifier les choses. Death Stranding 2 parle de l’humain dans ses plus simples et négatifs aspects, ceux qui ne sont pas vils, mais qui font beaucoup de mal. Et rien que pour ça, parce que c’est une première d’un point de vue si radical pour Kojima, Death Stranding 2 mérite d’exister.
Death Stranding 1.5 pour les uns tant le gameplay et sa structure sont identiques, véritable nouveau récit pour les autres, ce second jeu est plein de défauts et se veut beaucoup trop accessible (et pas pour son bien). Mais il propose un récit beaucoup plus humain que d’habitude et si vous entrez dans celui-ci, vous vivrez des émotions comme Kojima et son équipe savent les transmettre : haine, rires, joie, pleurs, vous passerez toutes les étapes du deuil et bien plus encore, jusqu’à une conclusion ravissante qui nous fait dire que “Ok Hideo, bien joué… mais il faut couper le cordon, maintenant”.










